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à propos d’un terrain : s’ils le gagnent, il paie ; s’ils le perdent, il paie encore, car, toute la terre lui appartenant, c’est son bien qui fournit aux dépenses de la commune. Il faut être bien avec le gouvernement pour toucher son revenu ; sinon, on court risque de voir son fermier faire la sourde oreille. Par ces mille petits liens d’intérêt personnel, le gouvernement tient ou maintient les propriétaires et la noblesse.

Par suite, les gens du mezzo ceto, avocats, médecins, sont serrés des mêmes entraves ; leur métier les met dans la dépendance de la grosse coterie papaline ; s’ils se montraient libéraux, ils perdraient leur meilleure clientèle. En outre tous les établissemens d’instruction publique sont aux mains du clergé ; Rome n’a pas un seul collège ou pension laïque. Enfin comptez tous les protégés, mendians, petits employés, aspirans ou possesseurs de sinécures ; tous ces gens-là obéissent et témoignent du zèle : leur pain quotidien en dépend. Voilà une hiérarchie de gens courbés, prudens, qui sourient d’un air discret et poussent des acclamations à volonté. Le comte C. disait : « On fait ici comme en Chine ; on ne coupe pas cruellement les pieds, mais on les entortille et on les déforme si bien sous des bandelettes qu’on les rend incapables de marcher. »

Il ne peut pas en être autrement, et c’est ici qu’il faut admirer la logique des choses. Un gouvernement ecclésiastique ne saurait être libéral. Un ecclésiastique peut l’être : le monde l’entoure, les sciences positives le pressent, les intérêts laïques viennent infléchir la direction native de son esprit ; mais écartez de lui toutes ces influences, livrez-le à lui-même, entourez-le d’autres prêtres, mettez en ses mains la conduite des hommes : il reviendra, comme Pie VII et Pie IX, aux maximes de sa place, et suivra la pente invincible de son état, car étant prêtre, surtout étant pape, il possède la vérité absolue et complète. Il n’a point à l’attendre comme nous des réflexions accumulées et des découvertes futures de tous les hommes : elle réside tout entière en lui et en ses prédécesseurs. Les principes sont établis par la tradition, proclamés dans les brefs, renouvelés dans les encycliques, détaillés dans les sommes théologiques, appliqués jusque dans le plus menu détail par le » prescriptions des canonistes et les discussions des casuistes. Il n’y a pas une idée ni une action humaine, publique ou privée, qui ne se trouve définie, classée, qualifiée dans les gros livres dont il est le défenseur et l’héritier. Bien plus, cette science est vivante ; une fois entrée dans son esprit et promulguée par sa parole, tous les doutes doivent tomber ; Dieu décide en lui et par lui ; la contradiction est une révolte, et la révolte un sacrilège. Partant, à ses yeux, le premier devoir est l’obéissance : l’examen, le jugement personnel, les habitudes d’initiative sont des péchés ; l’homme doit se laisser