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allons nous séparer tout à fait, et autant l’éloge a été sincère, autant la critique sera franche.

Sur cette grande et brûlante question de la guerre d’Italie, la pensée de M. de Carné peut se résumer en cette courte citation : « la guerre de 1859 est issue de la volonté des hommes plus que du cours naturel des choses ; aucun événement contemporain n’engage donc à ce point la responsabilité de ses auteurs. En jouant cette partie si fortement liée, le comte de Cavour a conservé jusqu’au bout sur ses partenaires une supériorité incontestable, car seul il a fait tout ce qu’il a voulu, puisqu’en reconnaissant au lendemain de sa mort l’unité italienne, la France a semblé capituler devant son cercueil. » J’avoue que cette pensée de M. de Carné m’étonne et me déconcerte. Un aussi énorme événement serait-il donc sorti presque exclusivement de la volonté des hommes, et dans l’une des plus fécondes révolutions qui aient remué l’Europe l’habileté d’un ministre aurait-elle fait tout ce qu’elle a voulu ? Les travaux historiques antérieurs de M. de Carné, si solidement établis sur la prépondérance des causes générales, ne me faisaient pas attendre une telle assertion : ceci me paraît un peu de l’histoire comprise à l’ancienne mode, alors qu’on n’y voyait autre chose que l’intrigue des cabinets et les desseins des politiques. Un coup d’œil jeté sur l’événement dans son ensemble et surtout dans ses antécédens aura bientôt, je crois, démontré que si des hommes habiles et résolus ont ici leur grande part dans la conduite des choses, celles-ci pourtant avaient déjà en elles-mêmes leur mouvement très déterminé, qu’ici comme ailleurs l’homme a pu modifier, régulariser, accélérer ou ralentir, mais non créer, qu’enfin si le comte de Cavour a bien joué sa partie, si ses partenaires ont été amenés après sa mort à reconnaître les conséquences de ses actes, c’est que ces conséquences avaient leur force en dehors de lui, et qu’il n’avait agi que dans le sens où elles allaient marcher.

Comment serait-il donc possible de juger la guerre d’Italie sans tenir compte des dix années qui l’avaient précédée, de la situation du Piémont vis-à-vis de Rome et de l’Autriche pendant ces dix années ? Par son statut, le Piémont s’était placé dans ce que nous appelons les principes modernes. A moins de rétrograder et d’abdiquer cette conquête, il fallait qu’il la complétât, qu’il y coordonnât sa législation civile, qu’il effaçât les anomalies et les contradictions qu’entraînaient une réforme inachevée et une situation incohérente. De même que la France, organisée civilement par le consulat et l’empire, avait dû, en 1814, s’achever par une organisation politique concordante, ainsi le Piémont, dont la marche avait été inverse, après avoir fondé sa liberté politique, ne pouvait se dispenser d’en assurer la base par l’égalité civile et les droits individuels. Or le premier de ces droite selon les principes et les nécessités de la vie moderne, c’est la liberté de la conscience, de la discussion et des cultes ; mais sur ce point le