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pour le mener au feu le ministre de l’intérieur, devant lequel le général Narvaez disparaît quelque peu. Il est certain du moins que M. Gonzalez Bravo, laissé presque seul sur la brèche, se défend depuis quelques jours avec une fécondité d’esprit et une habileté singulières ; il a prononcé plus de dix discours dans les deux chambres à l’occasion de ces malheureux événemens du 10 avril, et on peut dire qu’il est resté maître du terrain, au moins pour l’instant, sans persuader personne, peut-être sans se persuader lui-même. Seulement M. Gonzalez Bravo tend trop visiblement à se croire le pontife de l’ordre et du principe d’autorité. C’est pourtant dommage. Si M. Gonzalez Bravo avait mis à être conséquent et à soutenir la politique libérale des premiers jours la moitié du talent et du courage qu’il met à se contredire et à soutenir une politique opposée, il eût probablement réussi à placer le ministère dans des conditions bien autrement durables. Pour le moment, ce ministère est dans une impasse, et ce n’est pas M. Gonzalez Bravo qui le sauvera ; il peut tout au plus aggraver le péril, et à tant parler de conspirations, de révolution, on pourrait un de ces jours se réveiller en face d’une de ces explosions où il ne suffirait plus de jouer de la parole, et où l’épée même du général Narvaez serait un peu rouillée pour couvrir ce qui devrait être couvert. Qu’une crise sérieuse commence aujourd’hui au-delà des Pyrénées, cela n’est guère douteux, puisque tout le monde y travaille, ne fût-ce qu’en la prévoyant. La meilleure chance pour l’Espagne serait tout simplement de revenir à la politique libérale que le cabinet Narvaez avait laissé entrevoir à son début comme une promesse séduisante, car enfin on a essayé de bien des choses, il n’en est qu’une dont on n’a pas essayé : une volonté énergique et résolue se mettant au service d’un libéralisme sincère, intelligent et confiant.

CH. DE MAZADE.




Nous ne voulons pour aujourd’hui que constater un immense succès. L’Africaine, représentée enfin cette semaine à l’Opéra, vient de répondre à tout ce qu’on était en droit d’attendre d’une œuvre depuis si longtemps annoncée, et dont les innombrables vicissitudes, en augmentant la curiosité du public, avaient dû accroître aussi ses exigences. Cette représentation avait pris depuis quelques jours les proportions d’un véritable événement, à ce point qu’en présence d’une telle responsabilité Meyerbeer eût tremblé, lui si défiant de ses propres forces, si ému de nature chaque fois qu’il s’agissait d’aborder le public. Pourtant, si le maître eût pu douter, ses amis ne doutaient pas, rassurés qu’ils étaient depuis cette terrible épreuve d’une répétition générale avec costumes et décors donnée devant la salle remplie jusqu’aux combles d’une foule moins préoccupée de l’intérêt de l’ouvrage qu’affolée de spectacle, et dont l’opinion, au cas où le hasard