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gnificence, sinon de grandeur, avec la basilique de Jérusalem. Suivant le procédé déjà employé pour cette dernière, la grotte servit de crypte à l’église de Bethléem, un escalier tournant y conduisit de chaque côté de l’autel, et elle fut mise en communication avec les cavités environnantes par des corridors pratiqués dans le roc. C’est à cette crypte que couraient d’abord les pèlerins ; Jérôme, Paula, Eustochium, tous enfin furent bientôt en prière devant la crèche.

Peindre ici, d’après le témoin oculaire qui nous les transmet, les émotions de notre héroïne, comme je l’ai déjà fait à propos du saint-sépulcre, c’est encore écrire une page d’histoire ; ces naïves manifestations du cœur en disent plus sur l’état moral d’un siècle que les plus ingénieuses dissertations philosophiques. Prosternée sur la pierre de Bethléem, tout entière à la contemplation du grand mystère dont le théâtre parlait à ses yeux, Paula éprouva, comme au saint sépulcre et à l’église de la Croix, un de ces états d’exaltation violente qui tiennent le milieu entre la vie réelle et la vision. « Je vous jure, disait-elle à Jérôme, agenouillé près d’elle, que je vois l’enfant divin enveloppé de ses langes : le voici ; la Vierge-mère le prend dans ses bras ; de quelle tendre sollicitude l’entoure son père nourricier ! J’entends son premier vagissement, et là-bas retentissent le pas des bergers et le chant des anges. » Elle voyait aussi les mages, leurs présens, l’étoile miraculeuse rayonnant sur l’étable ; puis la scène changeait. Au lieu de la joie, c’était du sang et des larmes : Hérode furieux ordonnait le massacre de tous les enfans, et des soldats, l’épée en main, les arrachaient du sein de leurs mères ; Joseph et Marie fuyaient en Égypte. Elle pleurait, elle souriait, elle priait en même temps. Tout à coup on l’entendit s’écrier : « Salut, Bethléem, justement appelée « maison du pain[1], » car c’est ici qu’est né le vrai pain de la vie ! Salut, Ephrata « la fertile[2], » fertile en effet, car Dieu lui-même a été ta moisson ! » — Tous les passages prophétiques de l’Écriture se présentant alors à sa mémoire, elle les citait en latin, en grec, en hébreu, comme ils lui venaient, et ses pieuses compagnes faisaient assaut de mémoire avec elle. A propos du bœuf et de l’âne, elles se rappelèrent le verset d’Isaïe : « le bœuf a reconnu son maître, et l’âne la crèche de son Seigneur, » et cet autre aussi : « heureux celui qui sème sur les eaux, où le bœuf et l’âne enfoncent leurs pieds ! » À ces mots du psalmiste : « voici que nous avons appris qu’il était dans Ephrata, et nous l’avons trouvé au milieu des bois, » Paula, qui les avait cités, s’arrêta, et s’adressant à Jérôme : « Vous remarquerez, lui dit-elle, que j’ai traduit il et non pas elle, αύτόν

  1. C’est la signification du mot hébreu Beth-léhem.
  2. C’est également la signification du mot Ephrata ou Efrata.