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Après dîner, Consalvi eut un autre assaut à soutenir. C’était le comte de Cobentzel, ministre d’Autriche, qui s’était chargé de le lui livrer. Rien de plus curieux dans l’histoire des rapports de l’Autriche moderne avec la France sortie de la révolution que de la voir de temps à autre, quand un pouvoir redoutable est solidement organisé à Paris, s’épuiser en obligeans efforts pour accommoder doucement au cou des autres un joug qui doit ensuite retomber bien autrement pesant sur sa propre tête. M. de Cobentzel, consterné de ce qu’il avait entendu, ne faillit point à jouer en cette circonstance, avec un zèle singulier, un rôle qui paraît devoir devenir de plus en plus familier aux diplomates de son pays. Reprenant le thème effrayant de la France rendue protestante, ce thème dont Bonaparte faisait si bonne justice avec ses familiers, il ne dépeignit que trop éloquemment, dit Consalvi, les conséquences qui ne pouvaient manquer d’en résulter pour la religion, pour l’état, pour l’Europe. Cependant le comte de Cobentzel était au mieux avec Joseph, bien disposé lui-même, comme nous l’avons dit. C’était un véritable bomme de cour, plein de politesse, d’esprit et de bonne grâce. Il manœuvra si bien après le dîner, que le premier consul, non sans quelque résistance, finit par accorder qu’une dernière conférence aurait lieu pour voir s’il y aurait moyen d’arranger les choses ; mais si on se séparait sans conclure, la rupture devait être regardée comme définitive, et le cardinal pouvait partir. Du reste, et ce furent ses dernières paroles au comte de Cobentzel et à Consalvi, il voulait absolument que l’article en question restât tel quel ; il n’y admettrait aucun changement, et là-dessus il leur tourna le dos.

Un rendez-vous fut donc pris pour le lendemain à midi chez Joseph. A quoi bon une nouvelle conférence pour arriver à une conciliation, se disait Consalvi, puisque d’avance le premier consul se refusait au moindre changement ? Cela impliquait contradiction. Cependant la bonne volonté du frère du premier consul était évidente. Peut-être avait-il de secrètes instructions. En tout cas, c’était son devoir de se prêter à tout ce qui était possible. Le plus dur pour Consalvi fut de découvrir que dans la question controversée ses propres collègues étaient tout disposés à l’abandonner. Il leur fit toutefois promettre qu’ils soutiendraient, d’accord avec lui, la lutte sur les principes, et qu’ils ne céderaient qu’à la dernière extrémité. L’article en discussion était le premier du concordat, celui qui regardait la publicité de l’exercice du culte. En principe, le gouvernement français l’accordait. Il y mettait cette restriction, que l’exercice du culte aurait lieu conformément aux règlemens de police. Cela paraissait raisonnable en soi. Consalvi n’acceptait pas