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assuré de mener à bien l’œuvre difficile dont il était chargé. Décidé à ne pas s’écarter d’une ligne des instructions qu’il avait reçues, effrayé surtout du caractère de celui qu’il appelle dans ses mémoires l’homme à la spontanéité réfléchie et le régulateur des destinées communes, il semble avoir plus d’une fois douté de la réussite définitive.

En cela, il se trompait. Bonaparte était beaucoup plus décidé à conclure qu’il ne lui convenait de le laisser voir. Il voulait seulement, comme à son ordinaire dans toutes les transactions qu’il a signées, se faire donner le plus possible et n’accorder presque rien en échange. Lorsqu’avec sa parfaite connaissance des hommes il eut, dans deux ou trois conférences personnelles avec Consalvi, reconnu jusqu’où il pourrait conduire le ministre de Pie VII et quelles limites celui-ci ne dépasserait jamais, son parti fut pris, car il apercevait plus clairement que qui que ce soit le parti que, pour sa fortune, il pourrait tirer du concordat. Les témoignages abondent sur les dispositions qui animaient alors le premier consul ; elles étaient restées à Paris telles que nous les avons déjà signalées dans son allocution aux curés de Milan. Pour lui, la religion, est un instrument politique, un moyen particulier et plus efficace qu’un autre de dominer les esprits et de se les attacher. On ne saurait sans injustice l’accuser d’athéisme. « C’est à l’intelligence, a dit très bien M. Thiers, qu’il appartient de reconnaître l’intelligence dans l’univers, et un grand esprit est plus capable qu’un petit de voir un Dieu à travers ses œuvres. Parfois ce vague sentiment de l’ordre admirable de la création se traduisait chez lui en paroles, émues, lorsque par exemple, se promenant le soir dans le parc de la Malmaison avec un membre de son conseil d’état, il lui disait : « Je ne crois pas aux religions… Mais l’idée d’un Dieu !… » Et levant ses mains vers le ciel étoile : « Qui est-ce qui a fait tout cela ? » Par momens les souvenirs de sa jeunesse et les habitudes de sa première éducation reprenaient quelque empire sur son imagination. Il parlait alors avec attendrissement de l’effet que, dans le silence de la nature, produisait sur lui le son de la cloche de la petite église de Rueil. C’étaient là pourtant de bien fugitives sensations. Il n’en garde le souvenir, il n’y attache d’importance qu’à cause du jour qu’elles lui fournissent sur l’influence toute-puissante que doivent exercer sur les autres des impressions auxquelles lui-même, n’a pu se soustraire. S’il se propose de leur donner satisfaction, c’est surtout pour en profiter et s’en servir. Toutes ses conversations le montrent en proie à cette unique préoccupation. A M. de Bourrienne, son camarade d’enfance, il dit : « Vous verrez quel parti je saurai tirer des prêtres. » A M. de Lafayette, qui, prévoyant ses desseins,