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rien d’affable ni de brusque. Au fond, malgré les avis de M. Cacault, c’était encore cette même sommation faite à bref délai qui à coup sûr sentait plus le guerrier que le négociateur. Consalvi n’en fut nullement décontenancé. Du même ton, mais avec une nuance de déférence bien marquée, il répondit que l’envoi par sa sainteté de son principal ministre à Paris était une preuve de l’intérêt que Pie VII mettait à la conclusion d’un concordat avec la France ; quant à lui, il se flattait de l’espoir d’être assez heureux pour le terminer dans l’espace de temps que souhaitait le premier consul. Soit qu’il eût été satisfait de cette réponse, soit qu’après avoir témoigné avec une certaine hauteur de sa volonté d’en finir promptement, Bonaparte fût bien aise de se laisser voir à son interlocuteur par de plus aimables côtés, il entra subitement en matière, et pendant plus d’une demi-heure, dans la même attitude et devant tout le monde, il se mit à parler sur le concordat, sur le saint-siège, sur la religion, sur l’état actuel des négociations, et même sur les articles rejetés, avec une abondance et une véhémence inexprimables, sans colère toutefois ni dureté dans le langage.


III

Notre dessein n’est pas de tracer ici l’historique détaillé des négociations du concordat : M. Thiers les a racontées avec sa clarté ordinaire et une parfaite exactitude. Nous nous proposons la tâche plus modeste de mettre en relief les circonstances pour ainsi dire extérieures de cette affaire, et de révéler certains incidens passablement curieux, qui ne sont point indignes de l’histoire, car ils servent à peindre d’après nature, à représenter avec les traits qui lui sont propres, et sous sa véritable physionomie, à ce moment décisif de sa vie, l’homme extraordinaire qui s’apprêtait à sceller alors d’un nom déjà fameux l’acte le plus considérable qu’il lui ait peut-être été donné d’accomplir.

Ainsi que Consalvi en avait été prévenu, les conférences s’ouvrirent dès le lendemain de son audience. Elles eurent lieu dans le petit hôtel où était descendu le secrétaire de sa sainteté, qui se fit toujours assister de Mgr Spina et du théologien Caselli. L’abbé Bernier se présenta seul de la part du premier consul, et débuta par demander à Consalvi de développer dans un mémoire écrit les raisons qui avaient déterminé le saint-père à refuser le projet de concordat envoyé de Paris. Il paraît que cette première pièce émanée de la plume diplomatique de Consalvi n’eut pas grand succès. M. de Talleyrand, qui la reçut des mains de l’abbé Bernier pour la transmettre au premier consul, en rendit compte avec mépris, comme d’un