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bliquement à Paris l’habit ecclésiastique. Peu de temps après, l’abbé Bernier revenait avec cette réponse : « que le premier consul recevrait Consalvi dans la matinée même, à deux heures après midi ; quant au costume, il devait venir en cardinal le plus qu’il lui serait possible. » Cette hâte ne laissait pas que d’ajouter au trouble du secrétaire d’état de sa sainteté, car elle ne lui permettait pas de prendre langue et de remédier à son ignorance de la situation, qui, dit-il, était complète. L’invitation de se mettre en cardinal le plus qu’il lui serait possible l’embarrassait moins. Quoiqu’il eût parfaitement compris que le premier consul souhaitait qu’il se rendît aux Tuileries en grande pourpre, il réfléchit que les cardinaux ne devaient, d’après l’étiquette pontificale, porter ce costume que devant le pape. C’était par abus seulement que des membres du sacré collège avaient paru ainsi vêtus à la cour des souverains dont ils n’étaient pas les sujets. Il résolut donc de n’aller à l’audience qu’en habit noir, avec les bas cependant, la barrette et le collet rouges, ainsi que les cardinaux sont ordinairement hors de chez eux, quand ils ne sont pas en fonctions.

A l’heure convenue, le maître des cérémonies vint prendre Consalvi et le conduisit au palais des Tuileries. On l’avait à dessein fait entrer par un côté silencieux et désert du palais, et le même personnage, en le priant d’attendre qu’il eût donné avis de son arrivée, le laissa seul dans une pièce du rez-de-chaussée d’où l’on n’avait aucune vue, où nul bruit du dehors ne se faisait entendre. Quelle ne fut donc pas la surprise de Consalvi, lorsque le maître des cérémonies, lui indiquant du geste une petite porte qui donnait sur le vestibule du grand escalier, l’introduisit dans une immense pièce toute remplie de monde ! « Mon étonnement, nous raconte Consalvi en se servant d’une comparaison qui n’a rien que de naturel dans la bouche d’un cardinal italien, fut pareil à celui que fait éprouver au théâtre un changement subit de décoration, lorsque d’une chaumière, d’une prison ou d’un bois on passe au spectacle éblouissant de la cour la plus nombreuse et la plus magnifique. » Ainsi que l’apprit plus tard le ministre de Pie VII, c’était jour de parade aux Tuileries. La parade se renouvelait de quinzaine en quinzaine. Les trois consuls y assistaient, ainsi que tous les corps de l’état, c’est-à-dire le sénat, le tribunat et le corps législatif, les dignitaires du palais, les ministres, les généraux, tous les fonctionnaires de la république, et un nombre immense de troupes et de spectateurs. « Le premier consul avait trouvé à propos, continue le cardinal, de me faire aller à l’audience pour la première fois dans cette solennelle occasion, afin de me donner sans doute une grande idée de sa puissance, de me frapper d’étonnement et peut-être de crainte. Il ne sera pas dif-