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ses conversations familières, il avait entendu M. Cacault appeler parfois « l’homme terrible. » Peu de jours avant son départ pour Paris, Consalvi avait eu le tort de donner libre cours à l’expression de cette épouvante un peu enfantine en écrivant au chevalier Acton un billet intime qui, pour son malheur, était venu à la connaissance du ministre de France à Naples. « Le bien de la religion veut une victime, disait Consalvi au ministre du roi Ferdinand. Je vais voir le premier consul ; je marche au martyre : la volonté de Dieu soit accomplie ! » M. Cacault n’ignorait pas cette imprudence de son ami, et craignait, non sans raison, qu’elle n’indisposât Bonaparte contre lui. Frappé en outre du malaise d’esprit et des inquiétudes de toute sorte qu’il avait remarqués chez son compagnon de route. désireux de lui rendre sa mission moins difficile, le ministre de France prit sur lui d’adresser de Florence au premier consul une lettre personnelle et familière pour excuser près de lui le cardinal et bien expliquer le caractère de l’envoyé du saint-siège. « C’est, lui disait-il, un prélat gâté par trop d’hommages, qui n’a jamais couru de dangers, qui ne soupçonne pas encore d’autre horizon que Venise, qui sait sa Rome par cœur, et le reste, s’il y a autre chose encore, très peu. N’humiliez pas trop Consalvi, ajoutait M. Cacault. Prenez garde au parti qu’un homme aussi habile que lui, malgré ses peurs, dont il revient, saurait tirer de sa propre faute ; ne le mettez pas sur le chemin de la ruse. Abordez ses vertus avec les vôtres. Vous êtes grands tous les deux, chacun de vous à sa manièrent seulement dans d’autres proportions. Enfin, enfin, puisque vous voulez, je ne comptais pas le dire, mais il faut achever. Supposez qu’un Mattei eût dit cela ? qui pourrait lui en savoir mauvais gré ? Notre Consalvi pense peut-être avoir ses raisons. Il était monsignor sull’armi quand on a tué Duphot, et il se croit le soldat qui a tiré sur le général. Les patriotes le lui ont tant dit qu’il le jurerait sur les quatre Évangiles… » On ne pouvait mieux dire. Deux voies s’ouvraient en effet devant le premier consul, et M. Cacault n’avait point tort de lui recommander la douceur et les ménagemens avec Consalvi plutôt que le retour aux procédés d’intimidation qui venaient d’échouer si complètement à Rome. On va voir pourtant si ces sages conseils furent d’abord écoutés.

Le secrétaire d’état de Pie VII, arrivé en toute hâte dans la capitale de la république française, était allé descendre dans un modeste hôtel que Mgr Spina occupait en compagnie du père Caselli. À peine installé, il recevait la visite de l’abbé Bernier. Consalvi chargea l’abbé de s’informer quel jour et à quel moment il pourrait être reçu par le premier consul, et dans quel costume il devrait se présenter, car les prêtres ne portaient pas encore pu-