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II

Bonaparte avait passé le Petit-Saint-Bernard vers le milieu du mois de mai, c’est-à-dire. au moment même où Pie VII, par son encyclique du 20 mai 1800, faisait part à tous les évêques de la chrétienté de son exaltation au trône de saint. Pierre. Il était entré le 3 juin à Milan, quelques jours avant le départ du nouveau pontife pour la petite ville de Pesaro. Le chef des armées françaises, accouru de Paris pour livrer dans le champ clos de l’Italie une dernière bataille aux Autrichiens, était trop habile pour n’appeler point comme toujours les ressources de la politique au secours de ses profondes combinaisons militaires. Cette fois encore, comme dans ses premières campagnes de l’autre côté des Alpes, il entendait bien s’aider du puissant levier de l’opinion publique. Seulement, soit que le cours du temps eût modifié ses idées, soit plutôt que tant de succès obtenus lui rendissent plus facile de donner libre cours à ses véritables tendances, la nature de son langage était bien changée. Les proclamations maintenant adressées à ses soldats et aux populations italiennes pouvaient à bon droit surprendre les esprits qui se rappelaient celles dont il avait en 1796, lors de la première invasion républicaine, inondé toutes les villes de la Lombardie, de la Vénétie et des Romagnes. Dans les pièces émanées du quartier-général du premier consul, la religion tenait désormais la place principale. A peine entré dans la capitale du duché de Milan, Bonaparte n’a rien de plus pressé que d’ordonner un Te Deum afin de célébrer, dit-il dans le bulletin de l’armée, la délivrance de l’Italie des hérétiques et des infidèles. C’est là un sujet qui lui tient au cœur. Il ne peut pardonner aux Autrichiens de s’être servis des vaisseaux du Grand-Turc pour ravitailler Venise, et des secours de sa majesté britannique pour bloquer Gênes. « Les prêtres mêmes, écrit-il aux consuls de la république, sont très mécontens de voir les hérétiques anglais et les infidèles musulmans profaner le territoire de la catholique Italie[1]. » Le 5 juin, prêt à quitter Milan pour aller offrir le combat à Mêlas, il croit opportun d’adresser publiquement aux curés de la ville une allocution dont l’intention évidente ne peut être l’objet d’aucun doute. Les termes en sont trop curieux, ils peignent trop bien les vues du premier consul pour qu’il ne soit pas utile de la rapporter en partie.

« J’ai désiré vous voir tous rassemblés ici afin d’avoir la satisfaction de vous faire connaître par moi-même les sentimens qui m’animent au sujet

  1. Correspondance de l’empereur Napoléon Ier, t. VI, p. 336-337.