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des affaires, avaient donc rangé le principal ministre du nouveau pape dans un groupe politique un peu différent de celui auquel semblait appartenir le souverain lui-même. A Rome, tout le monde se rappelait combien, dans la malheureuse affaire de l’assassinat du général Duphot, la sage conduite et la digne attitude de Consalvi avaient contrasté avec les maladroites faiblesses de son chef, le cardinal Doria. Les gens bien intentionnés se prenaient donc à espérer que de cette diversité d’origine et de tendance il résulterait pour l’église les plus heureux résultats. Au besoin, le courage éprouvé de Consalvi, sa parfaite connaissance des hommes et des choses, viendraient suppléer à l’inexpérience du saint pontife. Il y avait pourtant entre eux, par de certains côtés, une surprenante parité. L’aménité de leurs manières était égale, différenciée seulement et par la position et par l’âge, plus onctueuse et plus paternelle chez Pie VII, plus pénétrante et plus mondaine chez son ministre. Pour Consalvi, cette courtoisie des formes et du langage n’était pas seulement un agrément ; à l’occasion, elle devenait une arme. On disait de lui qu’il était insinuant comme un parfum. Dans les cercles de Home, où l’on excelle à donner aux gens des surnoms qui les peignent à eux seuls, on l’appelait la sirène. « Par toutes ces qualités, dit M. Crétineau-Joly dans son introduction, Consalvi était l’homme de la situation. L’Italie entière le saluait comme le digne héritier de tous ces immortels génies de la politique romaine, moitié cygnes, moitié renards, qui ont plus fait de conquêtes par la parole que les batailleurs avec leur épée. » N’en déplaise à M. Crétineau-Joly, et quoique l’expression soit heureuse, il n’y avait rien du renard dans Consalvi ; il était tout cygne, noble et doux, souple, mais fier, tel qu’il fallait pour traiter, sans trop de désavantage, avec le plus grand homme de son temps, qui avait seulement le tort de vouloir appliquer aux paisibles transactions de la diplomatie les allures violentes des camps et les ruses hardies de la guerre. L’opposition des natures et la différence des procédés étaient dans cette rencontre singulière avec un si redoutable adversaire la condition même du succès. C’est précisément parce que, pour défendre les intérêts dont il était chargé, Consalvi a dû s’aider uniquement de sa douceur d’esprit, de son talent magique de persuader et de plaire, que nous avons dû nous arrêter avec quelque complaisance sur les qualités personnelles du négociateur italien. Il est temps maintenant, pour compléter notre récit, de le quitter un instant et de nous occuper de celui qui fixait alors uniquement les regards du monde entier ; nous voulons parler du premier consul.