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répandu des flots de sang. On ne voit plus aujourd’hui de guerres de religion, mais l’intolérance et l’inégalité sont restées dans les lois, et même, quand elles ont été rayées des lois, elles survivent dans les mœurs. En France, l’égalité nous semble si naturelle, elle est si profondément enracinée dans nos institutions, que nous ne comprenons point qu’elle puisse ne pas exister dans les pays qui prétendent nous avoir devancés dans la carrière de la liberté politique. En la recommandant aux peuples avec lesquels nous nous trouvons en rapport, en l’inscrivant dans les traités, nous rendons un véritable service à la cause de la civilisation et de la religion. Aussi doit-on considérer comme un acte de haute portée la convention de 1864, qui, faisant disparaître toute distinction de culte en faveur des Français sur le territoire helvétique, a stipulé implicitement que les Israélites seraient traités sur le même pied que les chrétiens.

Le code suisse présente une autre anomalie qui est en opposition flagrante avec les principes d’hospitalité internationale dont s’honorent les législations modernes. Il continue, dans divers cantons, à soumettre les ouvriers étrangers à des impôts et à des charges spéciales qui rappellent le régime du moyen âge. Variables pour chaque canton, inspirées soit par les idées de fiscalité, soit par une pensée de défiance contre la concurrence étrangère, ces distinctions échappent à la réglementation fédérale, et elles ne pouvaient par conséquent être abrogées d’un seul coup par la voie diplomatique. Il a donc fallu se borner à reconnaître de part et d’autre l’utilité d’une réforme qui rendît les différentes régions de la Suisse aussi accessibles aux artisans étrangers qu’elles le sont aux touristes, et, pour hâter cette réforme, les négociateurs français ont promis d’étendre à la confédération les facilités qui ont été accordées à la Belgique et à l’Angleterre au sujet des passeports. Nous ne préjugeons point l’effet que produira dans les cantons cette bienveillante promesse ; mais il ne nous paraît point nécessaire d’attendre la réciprocité qu’elle a en vue pour appliquer à la Suisse les franchises de passeports qui ont été concédées à d’autres pays. Si les citoyens des cantons ne croient point devoir accueillir les artisans étrangers, la France est intéressée à, ce que les Suisses apportent chez elle leur industrie et leurs capitaux. Le libre échange des personnes n’est pas moins utile que celui des marchandises. Il y a tout profit pour les nations qui savent le pratiquer, et qui s’enrichissent ainsi du travail et de l’intelligence des immigrans étrangers. Le régime des passeports n’a plus d’ailleurs de raison d’être : comme moyen de police, il est insuffisant et presque illusoire ; comme élément fiscal, il ne donne qu’un revenu très minime. Il ne produit que des