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a constituée. Il semble que la restauration, paisible et régulière par nature, doive être l’époque du rapprochement des partis et du triomphe définitif de tous les principes de la civilisation moderne. Nullement. Des préjugés irritans, des rancunes vivaces, des regrets absurdes, opposent entre elles les diverses classes de la société. Le génie de la nation se réveille avec éclat ; elle attire les regards du monde, mais pour se déchirer elle-même en luttes intestines, et un gouvernement pacificateur s’écroule en provoquant la guerre civile. Quelles furent les espérances de 1830 ? Qu’il le dise, celui qui peut se les rappeler sans une intime douleur ! Encore moins est-ce à nous de dire comment l’événement les a déçues ; mais enfin la monarchie de 1830 a disparu à son tour, et la France s’est laissé mettre en république. Elle n’a su ni résister ni consentir ; elle n’a su ni fonder, ni conserver, ni détruire l’établissement qui du moins la rendait maîtresse d’elle-même. C’est au moment où on la proclamait unique souveraine que la nation a abdiqué. Nous nous garderons de juger le gouvernement qui a détruit la république, on nous récuserait ; mais quel qu’il soit, et sans rien contester aux plus zélés de ses serviteurs, il est comme tous les biens de ce monde apparemment. Montesquieu n’a-t-il pas dit du plus grand de tous qu’il faut en payer le prix aux dieux ? Ainsi il a fallu que la France consentît à regarder comme un rêve le droit de se gouverner elle-même, tel qu’elle l’avait compris et ambitionné pendant près de quarante ans ; il a fallu qu’elle consentît à s’entendre dire qu’elle n’était pas digne de la liberté politique comme l’Angleterre, et que les institutions de la Belgique et de l’Italie n’étaient pas à sa portée. Telle est la suite des épreuves qu’a traversées la révolution française ou plutôt la nation qui l’a faite.

Voilà certes de tristes souvenirs, et nous sommes fondés à dire que nous avons eu du malheur, et ce qu’on appelle du malheur se réduit le plus souvent à des accidens qui mettent les fautes en lumière et qui leur donnent toutes leurs conséquences. Nous sommes donc bien loin de blâmer l’historien inexorable qui présentera à notre pays dans le miroir du passé l’image tristement fidèle des événemens dont nous avons souffert, des situations où nous avons failli. Nous ressentons comme lui toute l’amertume de nos grandes épreuves nationales ; mais qu’on ne se hâte pas d’en conclure que nous haïssions notre siècle et que nous ayons regret à la révolution. A tout prendre, quel temps serait préférable à celui qui date de 89 ? Quand la société française aurait-elle mieux aimé vivre ? Quand a-t-elle mieux réuni les conditions de l’activité intellectuelle et morale qui sont celles du bonheur même ? Quand a-t-elle connu autant de bien-être, de progrès, de liberté même, malgré tant de