Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 57.djvu/120

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par les plus purs sentimens de propagande et de charité, n’ont formé aucun établissement dans les terres polaires.

Ainsi toute cette partie de notre globe que l’on appelle la zone glaciale, et qui s’étend depuis le cercle polaire jusqu’au pôle même de la terre, paraît devoir être soustraite à l’activité humaine tant par la sévérité du climat que par la stérilité du sol. Quelque intérêt qu’aient excité les recherches géographiques, de quelque ardeur que les voyageurs de diverses nations aient fait preuve en explorant les parties centrales et presque inaccessibles des grands continens, on a laissé volontairement dans l’ombre depuis plusieurs années les régions arctiques, d’où le soleil et la vie semblent s’écarter. On avait été découragé sans doute par l’insuccès des nombreuses expéditions dont l’entreprise de Franklin avait été le signal. Le voyage dont on vient de raconter les péripéties est-il destiné à ramener l’attention vers les recherches de ce genre ? Déjà M. Hall est lui-même reparti avec l’espoir de pénétrer plus au nord que la première fois ; mais de nombreux émules vont peut-être bientôt le suivre. Dans une séance toute récente (février 1865) de la Société de géographie de Londres, le capitaine Sherard Osborne, de la marine royale britannique, a lu un mémoire relatif aux expéditions arctiques. Suivant lui, aucune épreuve n’est plus utile qu’un voyage au pôle pour former de hardis marins, qui dans cette navigation périlleuse exercent leur énergie et développent leurs facultés. Tous les navigateurs célèbres de l’Angleterre ont passé par cette école. L’appui du gouvernement anglais serait donc certainement acquis à de nouvelles entreprises qui se proposeraient de parcourir en tous sens la zone polaire et de pénétrer jusqu’au pôle. Peut-être, après avoir dépassé les latitudes désolées où l’on s’est arrêté jusqu’à présent, retrouvera-t-on au-delà un climat plus doux, des peuplades plus civilisées et cette mer intérieure aux eaux tièdes que certains savans ont annoncée, et que deux ou trois navigateurs prétendent avoir entrevue. De même que ces cavernes dont on ne peut sonder la profondeur et que l’imagination du vulgaire peuple de fantômes, fées ou géans, la région arctique est le refuge des poètes et des romanciers, qui placent dans les solitudes polaires un paradis terrestre. Pour nous, c’est une contrée morne et désolée, mais vers laquelle l’homme sera toujours entraîné par un mobile supérieur, par l’espoir de favoriser les progrès de la science ou de s’y former aux rudes travaux de la vie maritime.


H. BLERZY.