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son. Paula et ses compagnes remontèrent le fleuve en une journée, et, sans avoir éprouvé le moindre accident, elles débarquèrent dans la grande métropole de Syrie.

Elles y étaient attendues avec plus d’impatience encore qu’à Salamine. Tous leurs amis de Rome se trouvaient là pour les recevoir : Jérôme, le prêtre Vincent, Paulinien, frère de Jérôme, et les moines romains qui avaient consenti à le suivre en Orient. L’évêque Paulin réclama l’honneur de loger la descendante des Scipions à son palais épiscopal. Les nobles Romaines eurent bientôt vu tout ce qui pouvait les intéresser dans une ville provinciale, fût-elle magnifique comme Antioche, fût-elle, comme Antioche, le type le plus accompli des villes d’Asie : ce n’était pas pour si peu qu’elles avaient fui Rome. Un seul vœu s’échappait de leur cœur, un seul cri sortait de leur bouche : « Jérusalem ! » Vainement Jérôme et Paulin objectaient qu’on n’était encore qu’au milieu de l’hiver, que le froid sévissait dans les montagnes avec une rigueur inaccoutumée, et que les pentes du Liban se trouvaient encombrées de neige ; Paula voulut partir. Il fallut organiser une caravane en toute hâte, car, alors comme aujourd’hui, on ne voyageait guère que par troupe dans les contrées qui avoisinent l’Arabie et le Liban. Tous les Occidentaux en devaient faire partie, et probablement aussi quelques amis orientaux de Jérôme, mais non pas Paulin, qui, chargé de soins et d’années, fut contraint de rester dans Antioche.

Deux routes menaient de cette ville aux frontières de la Palestine : l’une, remontant le cours de l’Oronte, suivait dans sa longueur cette grande vallée concave que les Grecs appelaient Cœlé-Syrie, c’est-à-dire « Syrie creuse, » puis, se bifurquant dans deux directions, se portait à gauche sur Damas, à droite sur la Phénicie et Béryte, par les vallées transversales du Liban ; l’autre gagnait directement Béryte en côtoyant la Méditerranée. La première était la plus commode assurément, au moins dans une partie de son étendue ; mais, malgré les villes importantes et les postes de troupes échelonnés de distance en distance sur l’Oronte, elle offrait aux voyageurs moins de sécurité. De temps à autre, surtout dans le voisinage de l’Arabie, les caravanes voyaient apparaître à l’improviste des bandes de Sarrasins montés sur des chevaux ou des dromadaires, la tête enveloppée de linges, le corps nu sous un manteau traînant, un lourd carquois sur l’épaule et une longue lance en main, qui, se jetant sur le convoi, pillaient les bagages et emmenaient les voyageurs prisonniers. Il y avait à peine quelques années qu’une caravane de soixante-dix personnes, hommes, femmes et enfans, avait été ainsi enlevée et conduite dans le désert pour y être rançonnée ou réduite en captivité. La route du littoral était plus sûre, mais