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obscures. En 1576, un Anglais, Frobisher, partit d’Europe avec trois petits bâtimens, dont le plus gros ne jaugeait que 25 tonneaux. Il perdit en route, en vue du Groenland, l’un de ces navires, hasarda néanmoins de s’aventurer au milieu des glaces, et put s’avancer, vers le nord, jusqu’à une baie appelée depuis baie Frobisher, où il prit terre et lia connaissance avec les natifs. À cette époque, l’Amérique était découverte depuis moins d’un siècle, et les navigateurs qui se dirigeaient vers le nord ne pouvaient être guidés que par deux motifs : trouver de l’or ou découvrir un passage de l’Atlantique à l’Océan-Pacifique. Les équipages de Frobisher se prirent de querelle avec les indigènes, qui firent prisonniers cinq Anglais. Le commandant, désespérant de se les faire rendre, repartit bientôt pour l’Angleterre en emmenant de son côté un indigène dont il s’était emparé et quelques échantillons d’une pierre noire très pesante. Les raffineurs de Londres prétendirent, paraît-il, que cette pierre contenait de l’or. Ce fut assez pour déterminer Frobisher à entreprendre une seconde expédition l’année d’après, en 1577, avec trois vaisseaux. Il ne put cette fois encore retrouver les cinq matelots qu’il avait perdus au voyage précédent ; il soutint une lutte à main armée contre les natifs, et revint, après un court séjour, avec un chargement complet du prétendu minerai aurifère. Enfin en 1578 il repartit de nouveau, mais cette fois avec quinze vaisseaux et tous les approvisionnemens et les hommes nécessaires pour fonder une colonie : il y avait des mineurs, des charpentiers, des forgerons. Ils s’établirent dans une île à l’entrée d’un havre qui prit le nom de la comtesse de Warwick, sous les auspices de qui l’expédition avait été concertée ; puis les navires revinrent en Europe, et on ne retrouve plus dans les chroniques du temps aucune mention de ce qu’était devenu cet essai de colonisation prématuré dans l’extrême nord. On ne savait même pas au juste où était située l’île de la comtesse de Warwick. Les navigateurs avaient seulement conservé le nom de détroit de Frobisher à l’une des baies de la Terre-de-Cumberland, sur un vague soupçon que c’était là que ce marin avait atterri pendant ses trois expéditions.

Dans de nombreuses conversations avec les Esquimaux, M. Hall s’était fait raconter les souvenirs confus qu’ils se transmettaient par tradition orale de génération en génération au sujet du séjour d’hommes blancs dans ces parages à une époque très éloignée du temps présent. Frappé de la coïncidence que ces détails assez vagues présentaient avec la narration de Frobisher, dont il avait déjà connaissance, il lui parut intéressant d’éclaircir cette question d’histoire et de retrouver, s’il était possible, des vestiges de la colonie du XVIe siècle. Dès que ses compagnons l’eurent laissé seul avec