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dut se borner à explorer avec plus de soin les parages où il se trouvait, heureux d’ailleurs de saisir cette occasion de se familiariser avec la vie des Esquimaux et de se préparer à des entreprises plus lointaines. Au moment où le George Henry levait l’ancre et s’éloignait avec l’intention de croiser tout l’été à la recherche des baleines dans les mers environnantes, M. Hall se fit mettre à terre et établit son campement provisoire sous la tente des indigènes Ebierbing et Tookoolito, avec lesquels il avait lié une connaissance plus intime. Quelques traditions très vagues, conservées par les Esquimaux, sur le séjour, à une époque très ancienne, d’hommes blancs dans l’une des baies voisines, allaient lui fournir un sujet de recherches intéressant.

Les Esquimaux sont nomades, il est vrai, en ce sens qu’ils ne restent jamais longtemps au même lieu, mais sans s’éloigner jamais d’une certaine région dont ils visitent alternativement toutes les baies. En été, ils pénètrent quelquefois à l’intérieur des terres, à la poursuite des troupeaux de rennes qui leur fournissent leurs plus belles fourrures et leurs alimens les plus délicats. En hiver, ils restent près de la mer, qui peut seule les nourrie et ne changent de station qu’autant qu’ils y sont engagés par la rareté ou l’abondance des animaux dont ils vivent. Les familles, peu nombreuses, unies par les liens du sang et par les services réciproques qu’elles se rendent, en cas de disette, pendant la mauvaise saison, se connaissent toutes plus ou moins, et dans le cours d’une existence uniforme elles conservent longtemps le souvenir des événemens qui les ont frappées. L’une des traditions les plus vivaces chez les indigènes très âgés au moment où M. Hall visitait le pays se reportait au séjour parmi eux d’un grand nombre d’hommes blancs qui seraient venus, sur plusieurs vaisseaux, s’établir dans une île de cette contrée, y auraient demeuré plusieurs années, et auraient péri ensuite ou s’en seraient allés, vaincus par la rigueur du climat, en laissant toutefois des traces de leur établissement temporaire. Ces aventuriers étaient venus, au dire des anciens du pays, une première fois sur deux vaisseaux, la seconde année avec trois, et l’année d’après avec une flotte entière. Les hommes de cette dernière expédition, qui s’étaient fixés sur la terre arctique avec l’intention apparente d’y rester, avaient bientôt après construit un navire pour s’en retourner dans la contrée d’où ils étaient partis. Les Esquimaux racontaient même qu’il y avait eu bataille entre leurs ancêtres et ces hommes blancs, et que cinq de ceux-ci étaient restés au pouvoir des indigènes.

Or l’un des plus anciens voyages au pôle que les marines européennes aient tentés s’accorde à merveille avec ces traditions