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malheureux chasseurs furent confinés sur le glaçon qui les portait, jusqu’à ce qu’enfin, le vent ayant changé de direction, ils furent ramenés vers la terre et rejoignirent leurs familles, qui les avaient crus morts.

On peut juger d’après ces détails de l’existence singulièrement hasardeuse que mènent les habitans des terres arctiques. Qu’on ajoute aux privations de cette vie les maladies qu’engendre fatalement la rigueur du climat auquel ces hommes doivent s’exposer sans cesse, et l’on s’étonnera sans doute que les régions polaires ne soient pas désertes. Comment ces peuplades ne disparaissent-elles pas peu à peu ? Pourquoi n’émigrent-elles pas vers les latitudes plus tempérées ? En dépit de tant de souffrances et de privations, les hommes blancs eux-mêmes ne semblent pas éprouver trop de difficultés à séjourner dans ces parages. Non-seulement des baleiniers vont chaque année passer l’hiver au milieu des glaces, mais il n’est même pas rare que des hommes isolés, soit des déserteurs, soit des naufragés, restent seuls au milieu des natifs, partagent leur vie et prennent leurs habitudes, mangent comme eux la viande crue de leur chasse, habitent sous des maisons de neige, et rentrent dans leur pays natal gras et bien portans au bout de plusieurs années.


II

Cependant le mois d’avril était arrivé à sa fin. Des indices de changement de temps se manifestaient déjà. L’intérieur des baies était toujours gelé, mais la température était plus douce, la glace commençait à se briser au large, et les indigènes remplaçaient par des tentes de peau, qui leur servent d’abri pendant la belle saison, les huttes de neige qui se seraient fondues sur leurs têtes. La vie allait devenir moins pénible. Seulement les excursions aux environs de la baie dans laquelle le George Henry était ancré étaient difficiles à cette époque de transition. Il était à peu près impossible de voyager en plein jour sur la glace ou sur les terres couvertes de neige, car le sol manquait de fermeté, et il se formait çà et là des trous recouverts d’une mince couche de glace et dans lesquels on tombait à l’improviste. La route paraît belle et solide au premier abord, et tout à coup on s’enfonce dans l’eau jusqu’aux genoux. Il est facile de comprendre comment ces trous peuvent se former. Toute substance étrangère qui se trouve par hasard sur la glace, telle que des herbes marines, des ossemens, des débris de matière organique, absorbe la chaleur solaire et fait fondre avec rapidité toute la glace environnante. Par-dessus cette cavité d’eau fondue, il se reforme ensuite au premier froid une mince couche solide