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renne et de veau marin qu’il s’était procurées par échange, il se mit en route au commencement de janvier avec ses fidèles amis Ebierbing et Tookoolito. Un traîneau, attelé de dix chiens, portait toutes ses provisions, c’est-à-dire quelques fourrures pour la nuit, ses armes, et le peu de vivres que l’on pouvait emporter à l’avance. Les hasards de la chasse devaient pourvoir aux besoins des chaque jour. En cette saison, le chemin le plus facile à suivre, surtout lorsqu’on est accompagné d’un traîneau un peu chargé, est tout simplement la surface même de la mer. Sur terre, le sol est accidenté, inégal, et les montagnes encombrées de neige présenteraient souvent des obstacles insurmontables. Près du rivage, la glace, soulevée et bouleversée par les mouvemens de la marée, présente l’aspect d’une ruine et oblige à de trop fréquens détours ; mais au large, à une certaine distance de la côte, la surface glacée, tour à tour recouverte par l’eau des marées et par la neige, permet au traîneau de circuler avec rapidité. Un attelage de dix à douze chiens bien dressé et bien conduit peut alors traîner plusieurs personnes avec une vitesse étonnante. Le soir venu, on campe en pleine glace ; en moins d’une heure, on se bâtit une hutte avec des blocs de neige ; la lampe est allumée, le souper se prépare à sa douce chaleur, et l’on s’endort sous cet abri temporaire avec autant d’insouciance que si les fondations en reposaient sur la terre ferme et non point sur la surface de l’océan solidifié ; La femme veille pendant la nuit et a soin que les vêtemens humides de la journée se sèchent tour à tour au dessus de la lampe. Sous un toit de neige et avec ce modeste brasier, on passe la nuit sans danger, quoique le thermomètre descende parfois à 30 ou 40 degrés au-dessous de zéro.

Le plus grand tourment des voyageurs est, le croirait-on ? la soif. Entourés d’eau de toutes parts, marchant le jour sur la glace et couchant le soir dans la neige, ils ne peuvent cependant pas toujours se procurer la petite quantité d’eau nécessaire à la boisson. Lorsque le froid est très vif, le contact de la glace sur la peau nue produit tous les effets d’une brûlure. Aussi, lorsque le chasseur a eu l’adresse d’attraper un phoque, on se hâte de le dépecer et le sang de l’animal, mélangé avec un peu de neige fondue, est bu avec avidité par tous les voyageurs. Le phoque du veau marin, qui est en cette saison la principale et presque la seule ressource des Esquimaux, se retire dans la mer sous la couche de glace qui recouvre les eaux ; mais cet animal amphibie, ayant besoin de respirer de temps en temps, se ménage à travers cette couche des trous par lesquels il vient souffler à la surface. Les chiens ont en général une sagacité étonnante pour découvrir ces trous et les indiquer à leur maître.