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vrir. un charme secret dans l’horreur même de cette région inhospitalière. Aussi cette sympathie l’a-t-elle rendu capable de nous communiquer dans ses eaux-fortes le frisson que ce morne infini avait communiqué à sa chair, la torpeur et l’ennui sombre que ces plaines d’une monotonie grandiose avaient imposés à son imagination. La Kibitka ou tente kirghise, qui représente un campement tartare au complet, avec sa population d’hommes, d’enfans, de femmes et d’animaux, fait bien saisir entre autres l’horreur propre à ce désert. Quelque nombreuse que soit la famille, quelque nombreux que soient les troupeaux, le caractère du désert n’en est pas changé, et sa solitude triomphe pour ainsi dire de l’impuissance de cette fourmilière vivante à peupler son vide et à troubler son silence imposant. Aussi quelle joie lorsqu’il se rencontre dans cette aridité un détail quelconque qui parle d’ombre et de fraîcheur, lorsqu’une source, un arbre, viennent rappeler l’imagination de cette sensation du vide et de la solitude à des sensations d’un ordre moins puissant, mais plus douces au cœur de l’homme ! Telles sont les sensations que procurent les planches qui représentent l’Arbre vénéré des Kirghises, le lac Djalantach, l’Irghiz et quelques autres encore. M. Zaleski a mis dans ces planches avec la fraîcheur de l’ombre et des eaux l’espèce de joie qu’il a dû ressentir lorsqu’après des journées de marche il s’est trouvé en présence de ces bienfaisantes divinités du désert, arbres, lacs ou fleuves. L’artiste ici ne fait pour ainsi dire qu’un avec le voyageur ; il exprime avec d’autant plus de douceur le sentiment de l’ombre et de la fraîcheur qu’il a plus fortement exprimé tout à l’heure le sentiment de l’espace sans abris et de la lumière sans nuances ; mais ces répits durent peu, et l’horreur revient bientôt plus sinistre, plus tyrannique qu’auparavant. Citons, parmi les planches les plus saisissantes, celles qui représentent le Rocher du moine, véritable décoration faite pour une scène de roman lugubre dans le goût de Lewis et de Maturin, et les paysages de l’Oust-Ourt, la région la plus maudite de cette terre maudite, désert de craie et d’argile, véritable séjour de damnés, où les plus chétives floraisons sont inconnues, et que la vie n’a pas encore visitée, — paysages qui torturent l’imagination comme tout ce qui est inachevé, et donnent l’idée d’une contrée en construction que les divins ouvriers de la nature, appelés à d’autres tâches, auraient abandonnée au milieu de leur travail. Une certaine monotonie naîtrait à la longue de cette persistance dans l’horreur ; mais M. Zaleski a su se borner. Il s’est arrêté juste au nombre de planches nécessaires pour nous faire comprendre et épuiser toute la poésie de son sujet sans nous gâter cette poésie par une insistance qui aurait fini par engendrer l’ennui.


EMILE MONTEGUT.


La question des origines du christianisme a donné lieu depuis quelque temps à une multitude de travaux critiques et historiques. Il appartenait en effet à une époque de recherches et d’érudition comme la nôtre de dégager et de mettre en lumière les commencemens d’une doctrine religieuse qui a occupé et occupe encore une si grande place dans le monde. Parmi les critiques, les uns s’attachent particulièrement à la période de préparation, c’est-à-dire au caractère des hommes et des événemens qui ont précédé la venue du Messie ; d’autres se prennent à la vie et aux