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vicomtesse de Noailles lui avait alors demandé s’il consentirait à les accompagner jusqu’au pied de la guillotine. Il leur avait promis que, quoi qu’il pût arriver, il se mêlerait, pour les bénir, à la populace qui serait autour de l’échafaud. Il ajouta qu’il porterait ce jour-là un habit bleu foncé avec une carmagnole rouge, et qu’elles le reconnaîtraient à ce signe. Le 22 juillet au matin, le père Carrichon voit entrer chez lui les enfans de Mme de Noailles avec leur précepteur, « C’en est fait, lui dit ce dernier, c’en est fait, mon ami, ces dames sont au tribunal révolutionnaire. Je viens vous sommer de tenir la parole que vous leur avez donnée. » La foule était si compacte que le prêtre crut un instant ne pouvoir rejoindre la charrette ; mais, un orage ayant éclaté, la foule se dispersa, et, trempé de sueur et de pluie, il put approcher du tombereau. Les trois victimes le reconnurent sous le déguisement convenu, et au moment où il les bénit, à la lueur des éclairs, au bruit de la foudre, elles baissèrent la tête avec un air de contrition et d’espérance. « Quelqu’un qui serait venu dans ce moment pour délivrer ces dames de la mort, dit le biographe de Mme de Montagu, leur eût peut-être causé moins de joie que ne leur en donnait la vue de ce vieux prêtre qui ne venait que pour les aider à mourir. Elles ne tenaient plus à ce monde que par le désir d’en sortir, comme elles y avaient vécu, humblement et chrétiennement. » La vieille maréchale de Noailles, ayant mis pied à terre, s’assit, à cause de son grand âge, sur un banc de bois, près de la guillotine ; puis, après avoir pris un instant de repos, elle en monta les marches. Elle mourut la première ; ce fut ensuite le tour de sa fille, puis de sa petite-fille. Trois générations périssaient en un jour. Comme sa mère, la vicomtesse de Noailles exhortait ses compagnons de supplice, et particulièrement un jeune homme qu’elle avait entendu blasphémer. Déjà elle avait le pied sur l’escalier sanglant, quand, se tournant encore une fois du côté de ce jeune homme : « En grâce, lui dit-elle d’une voix suppliante, en grâce, dites pardon ! » Ce fut sa dernière parole.

Il serait difficile de peindre la douleur dont de pareilles nouvelles accablèrent l’âme de la marquise de Montagu. L’abbé Edgeworth, le confesseur de Louis XVI, ayant lu une lettre où elle se reprochait l’excès de son affliction comme une défaillance de sa foi, lui adressa par écrit les plus nobles consolations. Il lui rappelait que le Christ lui-même n’avait pas craint de répandre des larmes, qu’il y avait attaché une béatitude spéciale en disant : « Bienheureux ceux qui pleurent ! » C’est le langage qui convenait à Mme de Montagu, à cette femme qui aurait pu prononcer les paroles de sa sœur aînée, Mme de Lafayette : « Dieu m’a préservée de la révolte contre lui ; mais je n’eusse pas supporté l’apparence d’une consolation humaine. » La biographie de Mme de Montagu ne lui est pas consacrée à elle seule ; elle nous fait connaître aussi cette sœur si dévouée et si bonne, Mme de Lafayette, à laquelle les plus grands ennemis politiques de son mari furent toujours forcés d’accorder une respectueuse admiration. Transférée de prison en prison, à l’époque la plus sanglante de la terreur, Mme de Lafayette at-