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plus sombres pressentimens sur le sort des trois captives. Le 27 juillet 1794, elle écrivait les lignes suivantes : « Éveillée de grand matin dans la vive appréhension d’un malheur dont je ne puis mesurer l’étendue, m’attendant à toute heure à apprendre la mort de ma mère et celle de quelques-uns des êtres qui, avec elle, sont les plus chers à mon cœur, je cherche en vain à remonter mon courage. Je suis sans force et sans vertu pour un tel sacrifice. Ô mon âme, vous laisserez-vous toujours dominer par les mouvemens d’une nature lâche que la mort effraie, parce qu’elle n’est pas faite, comme vous, pour l’immortalité ?… Tu crains, malheureuse fille, de n’avoir plus de mère, cette mère à qui tu aurais souhaité, si tu l’avais osé, une vie éternelle en ce monde si peu digne d’elle ?… O mon Dieu, réunissez-moi à elle ou fortifiez-moi ! Que jamais je ne quitte cette ombre chérie, et qu’après avoir été si longtemps sanctifiée par sa vie, je sois encore sanctifiée par sa mort, puisque c’est à sa mort qu’il faut me préparer ! »

Le lendemain, Mme de Montagu se mettait en route pour le pays de Vaud, où elle allait rejoindre son père, le duc d’Ayen. Tout à coup elle aperçoit un char-à-bancs qui, dans un nuage de poussière, s’avançait avec vitesse. Dans cette voiture était son père. Il avait les traits si altérés qu’elle ne le reconnut qu’à la voix. En proie à une anxiété inexprimable, elle s’élance hors de la voiture et s’adosse contre un arbre, en demandant à Dieu de ne pas l’abandonner. Son père lui dit alors qu’il n’était pas sans inquiétude sur le sort de la maréchale de Noailles, de Mme d’Ayen, et même de la vicomtesse de Noailles. À ces mots, Mme de Montagu comprit toute l’affreuse vérité. « Mon Dieu ! s’écria-t-elle, mon Dieu ! soumettons-nous. » Puis, comme elle parlait de la piété, du courage de sa mère, elle se rappela une hymne que cette femme admirable avait coutume de dire dans les jours de douleur, et d’une voix étouffée par les sanglots elle récita le Magnificat.

Il y a peu de récits aussi pathétiques que celui des derniers instans et du supplice des trois victimes. Quoi de plus touchant que ce billet de la vicomtesse de Noailles à ses trois enfans : « Adieu, Alexis, Alfred, Euphémie !… Souvenez-vous de votre mère, et que son unique vœu a été de vous enfanter pour l’éternité. J’espère vous retrouver dans le sein de Dieu, et je vous donne à tous mes dernières bénédictions. » Ne préférez-vous pas ce langage à celui de Charlotte Corday demandant à ses pareils et à ses amis de l’oublier ? La même femme d’ailleurs qui a versé des torrens de larmes en pensant à sa famille, à ses enfans, aura l’œil sec quand il faudra gravir les marches de l’échafaud. Quelques heures avant le supplice, Mme d’Ayen engageait sa fille, la vicomtesse de Noailles, à prendre un peu de repos : « A quoi bon, répondit-elle, se reposera la veillé de l’éternité ? »

Pendant que les trois femmes étaient encore détenues dans leur propre maison, à l’hôtel de Noailles, d’où elles furent, nous l’avons déjà dit, transférées à la prison du Luxembourg, le père Carrichon, un de ces prêtres courageux qui, sous les vêtemens du siècle, continuaient à remplir leur saint-ministère, était venu leur apporter des consolations religieuses. La