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de ses richesses devant la nation éblouie. M. Burton hésitait pourtant à se rendre au palais ; mais le vice-roi de Whydah, Chyudaton, par une exquise prévenance, leva tous ses scrupules en venant lui annoncer dès le matin, que les gens exécutés dans le cours de la « nuit fatale » étaient tous des misérables de sac et de corde, choisis parmi la pire espèce des criminels et des prisonniers de guerre. Sur cette assurance, l’envoyé britannique, — dont le rigorisme après tout n’était pas absolument inflexible, — se laissa conduire au palais.


« Les abords de la demeure royale n’étaient pas positivement agréables, dit-il à cette occasion. Le hangar du marché ne renfermait plus un seul prisonnier. Sur un échafaud à double étage, formé de deux poutres perpendiculaires réunies par deux poutres horizontales, quatre cadavres étaient assis, à quarante pieds du sol, ayant encore leurs chemises blanches et leurs bonnets de coton. À peu de distance, une construction pareille, mais de moitié moins large, supportait deux victimes, placées l’une au-dessus de l’autre. Une potence, établie entre les deux échafauds et faite de bois très mince, maintenait en l’air, suspendu par les talons, un septième corps. Deux autres, côte à côte, garnissaient un patibulum planté au bord du sentier que nous suivions. La souplesse des membres, qu’on voyait s’infléchir sur les cordelettes enroulées autour des rotules et des genoux, prouvait assez que la mort ne les avait pas frappés longtemps auparavant. Aucune trace de violence ne se remarquait sur ces derniers corps, absolument nus. Par égard pour les femmes du roi, on ne les avait mutilés qu’après décès, et sur le sol, au-dessous d’eux, se voyaient à peine quelques vestiges de sang.

« Arrivés à la porte sud-est du palais, nous trouvâmes également désert l’appentis qui en dépend. En face de quelques petites poupées noires, fichées dans le sol des deux côtés de l’entrée, gisaient une douzaine de têtes, en deux tas de six chacun, la face contre terre et attirant le regard par la netteté, la précision évidente avec laquelle on les avait détachées du tronc. Selon toutes probabilités, l’exécution avait eu lieu devant la porte même, et l’on avait emporté les corps, afin d’épargner au monarque les désagrémens inséparables d’un pareil voisinage. Deux autres têtes, exposées en dedans du seuil, portaient le nombre à quatorze. Ainsi, dans le cours de la « nuit fatale, » Gelele avait dû faire immoler au moins vingt-trois victimes. »


Le roi parut, plus richement vêtu qu’en aucune autre occasion, portant une calotte de satin puce et une toge de soie violette. Une rapière, présent du capitaine Wilmot, lui pendait à l’épaule, fixée par un ceinturon de soie rouge, et un collier de pierres fausses s’étalait sur sa poitrine nue. Gelele s’arrêta pour attendre le salut qui lui était dû, et les processions militaires, les bouffonneries des griottes, des nains et des bossus, les génuflexions, complimens,