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n’avoir pas la peine d’en changer, mais par la vivacité de son caractère, qui la livrait tout entière aux impressions du moment. Paris ne la captive pas tellement qu’elle n’aime aussi la campagne, et personne en ce siècle n’a mieux parlé de la nature que cette femme du monde qui se trouvait si à l’aise dans les salons et semblait uniquement faite pour s’y plaire. Elle court à Livry aux premiers beaux jours pour y jouir « du triomphe du mois de mai, » pour y entendre « le rossignol, le coucou et la fauvette qui ouvrent le printemps dans les forêts ; » mais Livry est trop mondain encore : il lui faut une solitude plus complète, et elle va gaîment s’enfermer sous ses grands arbres de Bretagne, Pour le coup, : ses amis de Paris croient qu’elle va mourir d’ennui, n’ayant plus de nouvelles à répéter, plus de beaux esprits à entretenir ; mais elle a emporté avec elle quelque sérieuse morale de Nicole, elle a retrouvé parmi les livres délaissés, dont on sait que la campagne est le dernier asile ainsi que des vieux meubles, quelque roman de sa jeunesse qu’elle relit en se cachant et où elle est étonnée de se plaire encore. Elle cause avec ses gens, et, de même que Cicéron préférait la société des paysans à celle des élégans de province, elle aime mieux entretenir Pilois, son jardinier, que les conseillers du parlement de Bretagne. Elle se promène dans son mail, sous ces allées solitaires où les arbres couverts de belles devises semblent se parler l’un à l’autre ; elle trouve enfin tant d’agrément dans son désert qu’elle ne peut pas se décider à le quitter, et cependant il n’y a pas de femme qui aime plus Paris. Une fois qu’elle y est revenue, elle est tout entière aux charmes de la vie mondaine. Ses lettres en sont pleines ; elle se livre si facilement aux impressions qu’elle reçoit qu’on peut presque dire, en les lisant, quelles lectures elle vient de faire, à quels entretiens elle vient d’assister, de quels salons elle sort. On voit bien, lorsqu’elle répète si agréablement à sa fille les commérages de la cour, qu’elle vient d’entretenir la gracieuse, la spirituelle Mme de Coulanges, qui les lui a racontés. Lorsqu’elle parle d’une façon si attendrissante de Turenne, c’est qu’elle quitte l’hôtel de Bouillon, où la famille du prince pleure avec sa mort sa fortune ébranlée. Elle se prêche, elle se sermonne elle-même avec Nicole, mais ce n’est pas pour longtemps. Que son fils survienne et lui raconte quelqu’une de ces aventures galantes dont il a été le héros ou la victime, la voilà qui se jette hardiment dans les récits les plus scabreux, sauf à dire un peu plus loin : « Monsieur Nicole, ayez pitié de nous ! » Tout se tourne en morale, quand elle vient de visiter La Rochefoucauld ; elle fait des leçons à propos de tout, elle voit partout quelque image de la vie et du cœur humain, jusque dans ce bouillon de vipère qu’on va servir à Mme de La Fayette souffrante ! Cette vipère qu’on ouvre, qu’on écorche, et qui remue toujours, ne