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C’est ce que nous sommes tentés de lui dire nous-mêmes toutes les fois que nous le lisons. S’il est si vif, si pressant, si animé, lorsqu’il cause avec ses amis, c’est que son imagination se transporte sans peine aux lieux où ils sont. « Il me semble que je vous parle, » écrit-il à l’un. « Je ne sais comment il se fait, dit-il à l’autre, que je crois être près de vous en vous écrivant. » Bien plus encore que dans ses discours, il est dans ses lettres tout entier aux émotions du moment. Vient-il d’arriver dans quelqu’une de ses belles maisons de campagne qu’il aime tant, il se livre à la joie de la revoir ; elle ne lui a jamais semblé si belle. Il visite ses portiques, ses gymnases, ses exhèdres ; il court à ses livres, honteux de les avoir quittés. L’amour de la solitude s’empare de lui au point qu’il ne se trouve jamais assez seul. Sa maison de Formies elle-même finit par lui déplaire, parce qu’il y vient trop d’importuns. « C’est une promenade publique, dit-il, ce n’est pas une villa. » Il y retrouve les gens les plus ennuyeux du monde, son ami Sebosus et son ami Arrius, qui s’obstine à ne pas retourner à Rome, quelque prière qu’il lui en fasse, pour lui tenir compagnie et philosopher tout le jour avec lui. « Au moment où je vous écris, dit-il à Atticus, on m’annonce Sebosus. Je n’ai pas achevé d’en gémir que j’entends Arrius qui me salue. Est-ce là quitter Rome ? A quoi me sert de fuir les autres, si c’est pour tomber entre les mains de ceux-ci ? Je veux, ajoute-t-il en citant un beau vers emprunté peut-être à ses propres ouvrages, je veux m’enfuir vers les montagnes de ma patrie, au berceau de mon enfance, in montes patrios et ad incunabula nostra. » Il va en effet à Arpinum ; il pousse même jusqu’à Antium, la sauvage Antium, où il passe son temps à compter les vagues. Cette obscure tranquillité lui plaît tant qu’il regrette de n’avoir pas été duumvir dans cette petite ville plutôt que consul à Rome. Il n’a plus d’autre ambition que d’être rejoint par son ami Atticus, de faire avec lui quelques promenades au soleil, ou de causer philosophie, « assis sur ce petit siège qui est au-dessous de la statue d’Aristote. » En ce moment, il paraît plein de dégoût pour la vie publique ; il n’en veut pas entendre parler. « Je suis résolu, dit-il, à n’y plus songer ; » mais on sait comme il tient ces sortes de promesses. Aussitôt qu’il est de retour à Rome, il se plonge de plus fort dans la politique ; les champs et leurs plaisirs sont oubliés. À peine surprend-on par momens quelques regrets passagers d’une vie plus calme. « Quand donc vivrons-nous ? quando vivemus ? dit-il tristement au milieu de ce tourbillon d’affaires qui l’entraîne, et même ces réclamations timides sont bientôt étouffées par le bruit et le mouvement du combat. Il s’y engage et il y prend part avec plus d’ardeur que personne. Il en est encore tout animé lorsqu’il écrit à Atticus. Ses lettres en contiennent toutes les émotions et nous les communiquent. On croit