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mérita les éloges du roi nègre en faisant trébucher, au moyen d’un habile croc-en-jambes, le révérend Bernasko. Lorsqu’il eut assez joui d’un spectacle qui devait avoir pour lui l’attrait de la nouveauté, Gelele, se dirigeant vers la prison des condamnés, la parcourut dans toute sa longueur, et sans se préoccuper de ce qu’une pareille libéralité pouvait avoir de dérisoire, il jeta par poignées aux pieds de ces misérables, complètement garrottés, les cauries qui lui restaient encore. Il poussa même la condescendance jusqu’à converser avec plusieurs de ses futures victimes. Celles dont on aurait pu craindre les réclamations indiscrètes ou les propos messéans étaient soigneusement bâillonnées, sans qu’il y parût le moins du monde. « Le roi, remontant vers moi, dit M. Burton, vint faire claquer ses doigts à mon intention[1]. Ceci voulait dire, — formule toute locale, — qu’il ne refuserait pas à mon intercession la grâce de quelques victimes. J’invoquai tout aussitôt en leur faveur les droits de la clémence, cette prérogative éminemment royale. Environ la moitié de ces pauvres gens fut amenée devant Gelele ; on les débarrassa de leurs liens, et les gardiens de la prison les placèrent eux-mêmes à quatre pattes, pour qu’ils entendissent, dans une position convenable, l’arrêt qui les rendait à la vie. »

Chaleur excessive, poussière étouffante, grand abus de chansons guerrières et de discours belliqueux, marquèrent la quatrième journée (1er janvier 1864). Il n’était question que d’anéantir l’insolente Abbeokuta, de raser ses murailles, d’égorger jusqu’au dernier de ses habitans. Ces fanfaronnades, dont le roi renouvelait à chaque instant le signal, se psalmodiaient sut tous les tons, se récitaient sous toutes les formes. Elles accompagnaient l’interminable défilé des présens que le roi devait offrir, la nuit d’après, à ses grands vassaux. Cette « nuit fatale », la zan nyanyana, devait voir s’accomplir enfin les rites essentiels dont tous ces cortèges, tous ces chants, toutes ces largesses sont en quelque sorte les préliminaires. Ce qui se passe sur le lieu même du sacrifice, il est assez malaisé de le savoir, puisqu’il est enjoint à tous autres qu’aux perpétrateurs du massacre, — et cela sous peine d’avoir la tête coupée, — de rester enfermés chez eux. M. Burton croit pouvoir affirmer que le roi donne le signal des meurtres en faisant lui-même office de bourreau. Le min-gan, le meu frappent à leur tour, et le reste de l’assistance achève l’horrible besogne. Quant aux étrangers, ils entendent, l’oreille au guet, un roulement de tambours, une détonation d’armes à feu, et apprennent ainsi qu’une immolation vient d’être consommée.

Le lendemain est le « jour de joie, » le jour où le roi fait montre

  1. C’est là, pour les Africains, l’équivalent du shake-hands anglais.