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vint à Paris assister, en 1852, à une grande revue de 50,000 hommes. De retour dans sa vallée, au pied du Djurdjura, il exaltait avec conviction et le nombre et la force des soldats de la France. « Oui, lui répondait-on, mais la force des Zouaouas est encore plus grande. » Les Zouaouas ! ce sont eux pourtant qui ont donné leur nom à nos zouaves[1], et certes, sur un champ de bataille, ils ne démériteront pas de leurs homonymes.

Dans le cours de cette étude, nous n’avons pas dissimulé la sérieuse préférence que nous donnons à l’élément kabyle sur l’élément arabe ; c’est qu’en vérité le Kabyle nous apparaît comme essentiellement assimilable, tandis qu’à l’assimilation de l’Arabe nous ne pouvons nous empêcher de voir deux obstacles puissans : son fanatisme religieux qui ne transige pas, sa facilité à plier sa tente pour fuir au loin l’influence et l’autorité du chrétien. La fixité des demeures du Kabyle fait au moins que le conquérant sait toujours où le saisir, où lui porter le progrès et la civilisation. Aussi conclurons-nous par ce vœu. sincère : que le pur élément kabyle aille grandissant, et s’étende de plus en plus à travers le Tell, et relègue peu à peu l’Arabe vers les hauts plateaux ! Tous les progrès de l’élément kabyle nous sembleront d’heureux présages pour notre œuvre pacificatrice, et il entre, suivant nous, dans la vraie politique de la France de les encourager. Du reste, nous ne prétendons pas, on le pense, rien conseiller ni rien apprendre à ceux qui ont vieilli dans la science des affaires algériennes, aujourd’hui dirigées par d’illustres mains. Nous avons voulu écrire pour le public, qui ne connaît pas la question kabyle ou qui la connaît mal, lui dire des faits, qui parlent d’eux-mêmes, lui prouver que la France domine sans effort et se concilie déjà la population la plus belliqueuse et la plus intelligente de l’Algérie, lui montrer enfin que c’est l’armée, cette armée à qui l’on reproche le régime du sabre, qui a laissé aux Kabyles du Djurdjura le droit de se gouverner librement. Si, par ces simples vérités, nous réussissons à ramener quelques esprits prévenus vers un peu d’espérance dans l’avenir de la colonie, notre tâche n’aura pas été ingrate, et nous aurons payé un tribut, trop faible, hélas ! au bon pays d’Afrique que nous aimons, au cher drapeau sous lequel nous sommes glorieux d’avoir servi.


N. BIBESCO.

  1. Les Zouaouas, qui forment la plus grande confédération du Djurdjura, louaient jadis leurs services militaires aux princes barbaresques et avaient la réputation d’être les meilleurs fantassins de la régence ; de là leur nom donné aux deux bataillons de zouaves qui furent créés par un arrêté du 1er octobre 1830 et composés d’abord de soldats indigènes avec cadres français. Plus tard les indigènes disparurent d’entre les zouaves ; mais le nom de zouaves resta, et l’on sait qu’il a déjà fait le tour du monde. Voyez sur les Zouaves la Revue du 15 mars 1855.