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furent, il y a trois ans, constitués en djemâs ; jamais ils ne s’étaient montrés aussi tranquilles qu’on les a vus depuis. Dira-t-on que certaines tribus de la Grande-Kabylie se sont maintenues également fidèles avec le mode arabe de gouvernement ? Ce n’est pas une raison pour ne point généraliser par prévoyance une mesure utile. Fera-t-on des réserves à propos d’une tribu arabe, celle des Issers, comprise dans la Grande-Kabylie ? Mais elle est seule de son espèce et s’absorbera facilement dans l’ensemble ; les tribus de marabouts arabes qui résident dans le Djurdjura se sont bien d’elles-mêmes kabylisées, et les Nezliouas, tribu moitié arabe, moitié kabyle, du cercle de Dra-el-Mizan, écrivaient, l’an dernier, au commandant supérieur ces paroles très sensées : « Beaucoup des tribus qui nous entourent sont soumises au régime des djemâs ; nous demandons la même constitution. Puisqu’elle a été trouvée bonne pour ces tribus, elle doit l’être pour nous ; pourquoi serions-nous plus incapables qu’elles de l’appliquer ? »

Mais regardons plus loin. Les troubles des Babors et de la Kabylie orientale nécessiteront sans doute une campagne ; cette campagne, après le châtiment infligé aux rebelles, pourra bien être suivie d’une œuvre d’organisation. Tous les jours on apprend : lorsque la Kabylie orientale et les Babors furent soumis, le Djurdjura ne l’était point, et dans le Djurdjura seul nous devions trouver le système politique qui convient le mieux à l’esprit kabyle ; pourquoi le même système ne réussirait-il pas avec les populations de la Kabylie orientale ? Que ces tribus aient leur sang mêlé de sang arabe et ne se trouvent pas préparées par leurs erremens derniers à cette organisation nouvelle, peu importe. Les Nezliouas, qui la réclament, ont aussi du sang mêlé, et les Beni-Khalfoun, qui l’ont reçue sans y être préparés davantage, n’en ont pas été moins prompts à la comprendre et à la pratiquer. Au reste, des essais de djemâs faits dans le cercle de Djidjelli et le suffrage appliqué l’an dernier même à des élections de cheiks en quelques points de la Kabylie orientale ont produit déjà de satisfaisans résultats. Trop souvent certes les chefs indigènes que nous avons nommés deviennent une entrave pour notre autorité : puissans, ils nous portent ombrage ; faibles, ils sont un embarras, car il les faut défendre. Le régime des djemâs au contraire n’affaiblit en rien notre commandement, qui y gagne en influence ce qu’il perd en responsabilité. Et quant au mouvement et au progrès des idées qui doivent rapprocher de nous les vaincus, ce régime n’en est-il pas encore la meilleure garantie ? Il fait appel à l’initiative de chacun et lui offre un stimulant dans les discussions publiques, il affranchit l’individu en le laissant compter pour quelque chose dans le gouvernement, il nous permettra de transformer la société kabyle par la transformation intime de tous les citoyens