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restassent seulement entre Kabyles, Sur quelques reproches que leur firent des spahis arabes de Sétif, les muletiers de Bougie vinrent se plaindre à l’officier français chef de la colonne. « Nous avons promis de porter des vivres jusqu’à Bou-Sâada, lui dirent-ils ; nous sommes gens de parole. Si tu n’es pas content de nous, punis-nous ou fais-nous punir par nos spahis de Bougie ; mais nous n’en reconnaissons pas le droit aux spahis arabes : ce n’est pas notre race, et nous n’avons rien de commun avec eux. » L’hostilité a dû s’accroître, on le sent, depuis que les Kabyles djurdjuriens ont refusé de prendre part à l’insurrection : pour l’Arabe rebelle, le Kabyle est devenu « un Juif qui oublie sa religion et n’ose plus faire la guerre sainte ; » pour le montagnard, « l’Arabe n’est qu’un sot qui oublie son intérêt et ne songe pas que la France a la main longue. » Une pareille division ne peut que profiter à la politique de la France ; il lui convient d’encourager ceux qui la servent, et quand on a généreusement. dédommagé certains colporteurs du Djurdjura, que les Harrars révoltés avaient surpris et dépouillés dans la province d’Oran, l’effet produit en Kabylie par cette restitution a été excellent. Il est malheureusement un terrain sur lequel Arabes et Kabyles se rencontrent et s’entendent, c’est celui des sociétés religieuses, et de là peut naître un danger réel pour notre domination.

Les Kabyles n’ont certes pas le fanatisme naturel de l’Arabe, et c’est moins la religion que l’esprit d’indépendance qui les a jusqu’à la conquête armés contre nous. Cependant un des ordres religieux les plus célèbres de l’Algérie, l’ordre de Sid-Abderraman, a pris naissance dans le Djurdjura même. Les expéditions de 1856 et 1857 ont eu beau détruire l’école religieuse ou zaouïa de Sid-Abderraman et chasser le khalife ou grand-maître El-Hadj-Hamar ; il ne faut pas se dissimuler que l’ordre subsiste et se développe en secret et qu’il fait encore plus d’adeptes qu’avant la conquête. Un nouveau foyer se forme actuellement autour du Kabyle Cheik-Haddad, qui habite la tribu des Imsissen, sur la rive droite de l’Oued-Sahel. En l’absence d’un khelifa, Cheik-Haddad est le mekaddem ou chef reconnu de tous les affiliés de l’ordre ; l’autorité de son nom et le prestige de ses vertus inspirent au loin le respect dans la montagne. Depuis la soumission du Djurdjura, l’ordre de Sid-Abderraman représente seul le parti de l’opposition ; les idées religieuses et les aspirations d’indépendance s’y confondent ; il cherche des prosélytes dans nos spahis mêmes pour avoir des espions autour de nous ; beaucoup de femmes kabyles déjà s’y font admettre et s’appellent sœurs entre elles, comme les hommes s’appellent khouans, c’est-à-dire frères.

Toute association est une force, surtout quand elle obéit à l’unité