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amines et les marabouts. Il n’en est pas moins vrai qu’en acceptant ou rejetant le recours, elle se trouve impliquée dans des questions de justice qu’elle préférerait sans doute avoir à éviter. Quant aux djemâs, sauf les cas rares où l’application de la coutume est évidente, le moindre procès peut y amener des excitations, des animosités entre soffs, des injustices dans les jugemens. L’introduction des tribunaux français en Kabylie sera donc quelque jour un bienfait ; peut-être déjà le Kabyle ne répugnerait-il pas à les accepter, car il sait le respect qu’ils méritent. Cependant, pour l’y habituer sans secousse, on lui donnera d’abord utilement le premier degré de la juridiction française, c’est-à-dire les juges de paix, vrais représentans d’une mission conciliatrice. D’après quelle loi les juges de paix jugeront-ils ? D’après la coutume ; mais elle n’est ni écrite ni uniforme dans tout le Djurdjura. Qu’on se hâte donc de la rendre uniforme et de la codifier. Diverses tribus déjà consultées adhèrent à l’uniformité, car les différences existantes ne portent pas sur l’esprit fondamental des lois ; une commission composée de notables des différentes confédérations pourrait discuter et adopter un projet de code commun sur des bases élaborées par l’autorité française, et ce projet, les djemâs seraient ensuite appelées à le voter. Aux Arabes, nous avons accordé le droit de recours auprès de nos tribunaux contre le jugement de leurs cadis. Le même recours serait-il possible contre le jugement des djemâs ? Difficilement : les actes rendus par le cadi sont écrits et signés par lui et ses assesseurs ; les actes rendus par la djemâ ne le sont que par le khodja ou greffier. Souvent ni les tamens ni les amines ne savent lire, écrire ou signer ; certains villages manquent même de khodja, sa signature en tout cas ne peut suffire pour conférer le caractère d’authenticité nécessaire à un acte écrit que l’on porterait devant les tribunaux français comme preuve valable du jugement de la djemâ. Donc point de moyens termes : la vraie solution de l’avenir est la codification de la coutume et la création des justices de paix pour préparer le chemin aux tribunaux français. Le choix seul des personnes qui devront inaugurer en pays kabyle cette création nouvelle influera singulièrement sur la manière dont elle y sera reçue.

À la djemâ néanmoins il faudra une compensation en retour de l’autorité judiciaire qu’on lui retirera : cette compensation est indiquée d’avance ; la djemâ recevra le développement complet des droits municipaux, et la dechra kabyle deviendra une vraie commune libre, identique à la nôtre. Déjà tous les germes de la commune s’y trouvent : l’amine rappelle le maire, les tamens les adjoints ; le khodja pourrait au besoin, sauf rétribution, tenir les écritures dans plusieurs villages à la fois, et mettre au courant les actes de l’état civil et les registres de dépenses des djemâs ; déjà aussi la dechra