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sur quelques idées en bien petit nombre, sur quelques formules invariables. « Ses ancêtres, disait-il, avaient construit des temples grossiers et simplement ornés. Son père Gezo, en payant tribut à l’esprit d’Agongoro, s’était cru obligé de déployer plus de magnificence. On est heureux d’avoir des enfans qui accomplissent pour vous les rites sacrés. Aussi Gelele comptait-il recevoir un jour de son fils les mêmes honneurs qu’il rendait aujourd’hui à Gezo. » Sur cette harangue fort approuvée et suivie de plusieurs salves de mousqueterie, le roi consacra deux tambours, nouvellement inventés, en les frappant de baguettes humectées de sa salive ; puis, réfugié derrière un rideau que ses femmes venaient d’étendre entre lui et la foule, il se prépara par de fréquentes rasades aux exercices qui allaient suivre. Il s’agissait de chanter et de danser devant le peuple. Des chœurs de guerrières répondaient à sa voix, et dans l’intervalle d’une hymne à l’autre les « oiseaux du roi, » choisis parmi les musiciens des deux sexes, roucoulaient et gazouillaient à l’envi. Deux de ses femmes-léopards (favorites) l’assistaient dans ses exercices chorégraphiques, assez violens pour le mettre en nage. Passant alors le bout du doigt sur son front trempé de sueur, il l’agitait par manière d’aspersion au-dessus de la foule reconnaissante. Suivirent d’autres faveurs plus effectives : le roi distribua des esclaves, des colliers de verroteries, des tabourets, des parasols aux grands dignitaires de la cour ; il y eut des promotions d’officiers, des discours sans fin, des flatteries sans mesure, le tout couronné par un don gracieux des alimens étalés au pied du trône, dans des calebasses que les dakros (femmes-interprètes) répartirent entre les principaux assistans. Les « hommes blancs » avaient été servis les premiers, et le roi, certain de les avoir éblouis, vint quêter en personne les remercîmens qu’ils lui devaient.


« Après qu’il nous eut montré notre lot de provisions et le rhum assigné à nos porteurs, il nous déclara, dit M. Burton, que nous devions tous les trois chanter, danser, battre du tambour comme il l’avait fait lui-même, — requête qui me fit déplorer de n’avoir pas consacré de plus longues études au maniement des baguettes et cultivé comme il le mérite l’instrument sur lequel je devais me faire entendre. Je consentis sans peine (willingly consented), ainsi que le docteur Cruikshank, à danser avec le roi, sachant que tel est l’usage et qu’il y prenait grand plaisir ; mais nous lui fîmes accepter les excuses de M. Bernasko, lequel, étant d’église, n’avait que des chants à lui offrir. Gelele montra une centaine délicatesse à ne pas insister sur l’accomplissement immédiat de nos promesses, qu’il se bornait à nous rappeler de temps en temps. Il redoutait, évidemment pour nous un excès d’émotion, et finit par nous dire « qu’il remettrait la chose à quelque soirée, attendu que les exercices en plein soleil ne conviennent pas aux gens de notre race….. »

« ….. Je crus devoir, aussitôt rentré chez moi, expédier à Chyudaton (le