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les deux cours où manœuvrent l’armée des hommes et celle des femmes. À l’entrée de la seconde cour, on rencontre la khatungan[1], capitaine des gardes du roi Gezo, gardes-femmes qui passent encore aujourd’hui pour les « enfans perdus » de la seconde armée dahomienne. Le casque de cette guerrière émérite « rappelle par sa forme le bonnet d’une cuisinière française ; » il faut seulement y ajouter un dessous rose et de chaque côté un crocodile en application de drap bleu, le tout fixé par une paire de cornes en fer-blanc et une mince courroie. Mille amazones tout au plus étaient réunies sous ses ordres, le reste ayant eu mission d’aller surprendre et saccager un village rebelle. Leur costume, parfaitement convenable d’ailleurs, ne manque pas d’élégance : un filet blanc ou bleu maintient la chevelure ; le buste est serré dans un gilet sans manches qui laisse aux bras liberté complète ; un jupon d’étoffe teinte, généralement bleue, rose ou jaune, descend de la hanche au cou-de-pied ; une large ceinture blanche, dont les bouts pendent sur le côté gauche, entoure la taille ; une bandoulière de cuir noir, rehaussée de cauries, tient lieu d’écharpe. Le fusil, lourd et d’ancien modèle, porte la marque de la Tour de Londres ; le sabre, quoiqu’un peu moins long, ressemble au briquet français tel qu’il était autrefois. Mention particulière est due au rasoir dont on arme celles qui portent le nom de « faucheuses : » il est énorme, et, vu sa destination spéciale, doit donner le frisson à l’homme le plus courageux.

Les amazones ont le pas sur leurs frères d’armes, à qui elles s’assimilent d’ailleurs volontiers. « Nous ne sommes plus des femmes, » disent-elles ; mais après tout il leur arrive fréquemment de se donner à elles-mêmes, sous ce rapport, le plus éclatant démenti. Ceci devint évident quelques jours après la réception solennelle faite au capitaine Burton. Gelele préparait alors la désastreuse expédition qu’il dirigea quelques semaines plus tard contre la ville ennemie d’Abbeokuta. Or, au moment de mettre l’armée en jupons sur le pied de guerre, on ne trouva pas moins de cent cinquante amazones dans un état qui les rendait éminemment incapables de faire campagne : énorme scandale, bien qu’il soit assez fréquent, et contre lequel on dut sévir, autant pour affirmer les droits conjugaux du monarque sur toutes les amazones que pour maintenir la discipline militaire fort compromise, il faut bien le reconnaître, par de tels exemples. Les coupables subirent avec leurs complices le jugement solennel du roi-mari qu’elles avaient doublement outragé. Huit d’entre elles furent condamnées à mort et réservées pour les

  1. C’est le grade de l’armée féminine correspondant à celui de meu dans l’armée de l’autre sexe.