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toutes les variétés, tiges de maïs aussi hautes que de jeunes bambous, épis gigantesques de sorghum, feuilles de tabac, fleurs du cotonnier. Un agriculteur intelligent peut d’un coup d’œil se rendre compte des ressources de l’état et de la nature de ses terrains.

La compagnie fait bâtir à l’avance, dans les communes où elle veut appeler l’émigration, des églises et des maisons d’école. Les conditions qu’elle fait aux fermiers sont les suivantes : elle leur cède 80 acres à 10 dollars l’acre, si le paiement est fait immédiatement, ou bien ils ont la faculté de s’acquitter en donnant, au moment de la vente, 48 dollars, et en payant la même somme au bout de la première, de la seconde et de la troisième année de possession. L’annuité au bout de la quatrième année devient 236 dollars ; au bout de la cinquième et de la sixième année, 224 dollars. La septième et la huitième, qui sont les dernières, sont de 212 et de 200 dollars. Depuis la guerre, les fermiers ont fait des bénéfices qui ont permis à beaucoup de se libérer en un ou deux ans envers la compagnie. Il n’y a que peu d’états dont le sol puisse le disputer en fertilité aux terres noirâtres de l’Illinois ; le gras limon qui recouvre cette région, aussi vaste que l’Angleterre, a porté en 1861 une récolte de 35 millions de boisseaux de froment et de 140 millions de boisseaux de maïs, sans compter les avoines, le seigle, l’orge, les pommes de terre, les patates, le chanvre, le lin, les betteraves, le tabac, le sorghum. Pendant l’année 1863, l’Illinois a exporté 4 millions de tonnes de céréales. Ces immenses plaines, qui n’ont encore qu’une population de 1,700,000 âmes, nourriront un jour sans peine de 15 à 20 millions d’habitans.

Les chiffres de la statistique sont trop froids, trop vides, pour laisser à l’esprit une impression durable ; on ne saurait bien comprendre la grandeur de l’ouest, ni deviner ses destinées, si l’on n’a parcouru ses plaines sans fin. Que de fois, debout sur la plateforme à l’arrière d’un train, ai-je regardé fuir le ruban de fer qui courait en ligne droite jusqu’à l’horizon ! Au-delà des champs cultivés qui çà et là bordaient la voie, s’étendait au loin la prairie solitaire, tantôt unie comme un lac, tantôt soulevée par de molles ondulations. Par instans l’ombre d’un nuage courait sur les hautes herbes qui, tour à tour assombries et éclairées, semblaient en mouvement comme des flots paresseux. Pendant combien de temps ces grands jardins du désert sont-ils restés inutiles à l’homme ? L’Indien n’y a pas laissé plus de traces que le buffle, l’élan, le castor ou le loup qui hurle encore la nuit dans la plaine. Les feux des tribus sauvages n’ont point détruit les germes des fleurs de la solitude. Combien de fois la plaine ne s’est-elle point parée de leur riche moisson, et combien de fois l’été ne les a-t-il pas flétries !