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Les grands travaux d’utilité publique qui s’exécutent à Chicago peuvent rivaliser avec ceux des plus grandes capitales. Un réseau de magnifiques égouts s’étend sous la ville entière ; les maisons reçoivent l’eau à tous les étages. Cette eau est prise sur les bords du lac et élevée par de puissantes machines à vapeur dans un vaste réservoir ; mais les nombreux abattoirs, les tanneries et les divers établissemens situés le long de la rivière envoient beaucoup d’impuretés sur les bords du lac, et pour avoir une eau plus saine, l’ingénieur de la ville, M. Chesbrough, a conçu le projet hardi d’aller chercher l’eau du lac à 3 kilomètres du bord à l’aide d’un tunnel creusé sous le lit et communiquant avec une tour creuse, percée d’ouvertures à des hauteurs diverses. Ces portes peuvent s’ouvrir ou se fermer à volonté, de telle façon que pendant l’été, par exemple, on ne laissera entrer dans le tunnel que les eaux du fond du lac, non échauffées par le soleil. Ce beau travail est en voie d’exécution, et la tour en bois qui doit servir de prise d’eau était déjà terminée quand je quittai Chicago.

Après ma visite aux abattoirs de Chicago, je fus conduit à un camp nommé le Camp-Douglas (partout ce nom se retrouve dans l’Illinois), où l’on gardait environ dix mille prisonniers confédérés. Douze longues rangées de maisons de bois parallèles avaient été élevées pour recevoir les confédérés ; le vaste camp était entouré d’une palissade, au haut de laquelle courait un balcon de bois ou se promenaient les sentinelles fédérales. Je ne fus point admis à l’intérieur de la vaste enceinte, et j’aperçus seulement quelques prisonniers, revenant d’une corvée, qui traversaient avec leurs gardiens les grandes places d’armes, autour desquelles s’allongent les casernes des soldats fédéraux, maisons basses, élevées à la hâte, et qui n’ont qu’un rez-de-chaussée. La plupart portaient encore leur uniforme gris et ces chapeaux de feutre mou qui semblent être la coiffure favorite des deux armées. Les prisonniers du sud ont toujours été traités dans les camps du nord avec la plus grande humanité ; leur nourriture est la même que celle de leurs gardiens, et leur sort n’est en réalité pas beaucoup plus malheureux. Dans le sud au contraire, il est avéré que les prisonniers du nord ont été souvent l’objet des traitemens les plus barbares ; le récit de leurs souffrances est peut-être la page la plus lamentable de la guerre, il montre jusqu’à quel degré l’institution de l’esclavage endurcit les âmes. C’est le 17 octobre que je vis le Camp-Douglas : peu de temps après, à la veille de l’élection présidentielle, la police de Chicago mit la main sur des malfaiteurs qui, venus du Canada et des provinces du sud, avaient projeté de mettre le feu à la ville sur plusieurs points, et de délivrer, à la faveur de l’incendie, les dix mille prisonniers gardés dans le camp. Sans doute on était déjà sur