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les états, tous les états viennent le visiter. Son horizon s’élargit, et du centre de ce vaste continent ses regards plongent jusque sur les bords de l’Atlantique, jusqu’au golfe du Mexique, jusqu’aux vallées de la Californie. L’hôtel est comme l’abrégé de la confédération.

De Détroit à Chicago, on traverse en ligne droite l’état agricole du Michigan. Rien ne distrait le regard sur cette fertile plaine : on ne voyage pas dans l’ouest, on est transporté d’un lieu à un autre. Parmi les champs et les bois, on traverse comme d’un bond toutes les phases de la civilisation. Ici des feux consument lentement les derniers troncs d’arbres dans une partie de la forêt qu’on veut donner à la culture ; dans les pâturages encore remplis de fleurs sauvages, d’astères violettes, de verges d’or, de molènes (verbascum), errent des vaches entre les souches noircies et les blocs erratiques ; dans les premiers enclos, la charrue passe lentement, en contournant les dernières souches ; sur les champs déjà bien nettoyés, le soc trace sans difficulté ses sillons parallèles. Les premiers abris sont des huttes élevées à la hâte ; plus tard, l’émigrant enrichi bâtit une maison plus grande ; les planches sont peintes en jaune ou en blanc, et des contre-vents verts encadrent les fenêtres. Enfin dans les centres les plus importans s’élèvent des constructions en pierre ou en brique. Les stations ne diffèrent que par le nom. Qui a songé à donner à l’une d’elles celui du héros hellène Ypsilanti ? Chelsea, Albion, viennent après : on s’arrête un moment dans un endroit marqué Paw-Paw sur les cartes les plus récentes, mais qui aujourd’hui a reçu déjà un nom anglais et banal. Le chemin de fer suit longtemps les eaux dormantes du Kalamazou, qui se traîne entre des bois d’érables jaunis. La nuit arrive, et la prairie nue prend l’aspect d’un lac noir, immobile et sans reflets. Sur les rives méridionales du lac Michigan, la steppe n’est traversée d’aucune ondulation ; sa surface unie reproduit exactement cette forme idéale que l’astronomie dans ses calculs suppose à la terre ; la circonférence de l’horizon est aussi parfaite que celle dont le marin sur son vaisseau reste le centre mobile. Cette fuite rapide à travers le désert morne, silencieux et sans limites semble un rêve. Quelques lumières se montrent enfin sur le fond obscur de l’horizon comme des étoiles au moment de leur lever. On arrive à Chicago.

Chicago est la reine de l’ouest ; c’est la capitale des grands états producteurs de céréales. Il y a trente-trois ans, les Indiens erraient encore librement sur les rives du lac Michigan, où s’élèvent maintenant des églises, des hôtels, des monumens, des maisons pour une population de 180,000 habitans. L’immense damier, découpé de larges rues, s’étend à perte de vue au nord, au sud, à l’ouest. À l’est est le port, où.se pressent les mâts d’une multitude de bateaux.