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voulu partir aujourd’hui 20, ayant satisfait à tous mes engagemens. On a arrêté mon secrétaire, ma nièce et moi. Nous avons douze soldats aux portes de nos chambres. Ma nièce, à l’heure que j’écris, est dans les convulsions. Nous sommes persuadés que le roi n’approuvera pas cette horrible violence. » Vainement Mme Denis a-t-elle écrire lendemain au roi lui-même : « Mon oncle a cru avec raison être en droit de partir le 20, laissant à votre ministre la caisse et d’autres effets que je comptais reprendre le 21, et c’est le 20 que nous sommes arrêtés de la manière la plus violente. On me traite, moi qui ne suis ici que pour soulager mon oncle mourant, comme une femme coupable des plus grands crimes : on met douze soldats à nos portes. Aujourd’hui 21, le sieur Freytag vient nous signifier que notre emprisonnement doit nous coûter cent vingt-deux écus et quarante kreutzers par jour, et il apporte à mon oncle un écrit à signer, par lequel mon oncle doit se taire sur tout ce qui est arrivé, ce sont ses propres mots, et avouer que les billets du sieur Freytag n’étaient que des billets de consolation et d’amitié qui ne tiraient point à conséquence. Il nous fait espérer qu’il nous ôtera notre garde. Voilà l’état où nous sommes le 21 juin, à deux heures après midi. » Vainement enfin le roi, étonné de ces clameurs et commençant à craindre le scandale, ordonne-t-il à Freytag de mettre immédiatement Voltaire en liberté. — « Impossible ! répond le geôlier, la situation a changé depuis la date de cet ordre. Voltaire est entouré de visiteurs qui sans doute viennent comploter avec lui. Ce sont des libraires ; des journalistes, c’est le duc de Meiningen et ses cavaliers. Tout cela est louche. » C’est le 25 juin que Freytag a reçu l’ordre du roi ; pendant une douzaine de jours encore, ce serviteur enragé va protester contre l’imprudence de son maître. Nouvelles plaintes de Voltaire et de Mme Denis adressées soit à Frédéric, soit à l’abbé de Prades ; nouveaux ordres du roi enjoignant à Freytag de terminer au plus tôt cette affaire si mal conduite et de laisser partir les prisonniers.


« J’ai reçu une lettre de la nièce de Voltaire que je n’ai pas trop comprise ; elle se plaint que vous l’avez fait enlever à son auberge et conduire à pied avec des soldats qui l’escortaient. Je ne vous avais rien ordonné de tout cela. Il ne faut jamais faire plus de bruit qu’une (chose ?) ne le mérite. Je voulais que Voltaire vous remît la clef, la croix et le volume de poésies que je lui avais confiés. Dès que tout cela vous a été remis, je ne vois pas de raison qui ait pu vous engager à faire ce coup d’éclat. Rendez-leur donc la liberté, dès ma lettre reçue. Je veux que cette affaire en reste là, qu’ils puissent aller où ils voudront, et que je n’en entende plus parler. Sur ce, je prie Dieu qu’il vous ait en sa sainte garde.

« FREDERIC. »

« A ma maison de Sans-Souci, le 26 juin 1753. »