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du retard des nouvelles. On ne peut s’empêcher de sourire en pensant combien les progrès de nos jours eussent épargné de sottises à Frédéric et à ses gens. L’ordre d’élargir Voltaire sous condition, sous une condition déjà remplie surabondamment, est daté du 16 juin, et ne parviendra dans Francfort que le 23. Cependant Voltaire, retenu à Francfort dès le 18, Voltaire, qui, faute de connaître les dispositions meilleures de Frédéric, ne voit pas d’issue à cette situation intolérable, prend la résolution de s’évader.

Il faut écouter ici un des acteurs de la scène, le secrétaire du poète, devenu son aide-de-camp. Ce dernier mot ne dit rien de trop : c’était bien un acte de guerre, et l’on verra tout à l’heure qu’il pouvait y avoir danger de mort pour les fugitifs. Voici donc, d’après Collini, et le plan de campagne imaginé par Voltaire et les incidens qui en arrêtèrent l’exécution. « Il devait laisser la caisse entre les mains de Freytag. Mme Denis serait restée avec nos malles pour attendre l’issue de cette odieuse et singulière aventure ; Voltaire et moi devions partir, emportant seulement quelques valises, les manuscrits et l’argent renfermé dans la cassette. J’arrêtai en conséquence une voiture de louage et préparai tout pour notre départ, qui ressemblait assez à la fuite de deux coupables. À l’heure convenue, nous trouvâmes le moyen de sortir de l’auberge sans être remarqués. Nous arrivâmes heureusement jusqu’au carrosse de louage ; un domestique nous suivait, chargé de deux portefeuilles et de la cassette. Nous partîmes avec l’espoir d’être enfin délivrés de Freytag et de ses agens. Arrivés à la porte de la ville qui conduit au chemin de Mayence, on arrête le carrosse et on court instruire le résident de notre tentative d’évasion. En attendant qu’il arrive, Voltaire expédie son domestique à Mme Denis. Freytag paraît bientôt dans une voiture escortée par des soldats, et nous y fait monter en accompagnant cet ordre d’imprécations et d’injures. Oubliant qu’il représente le roi son maître, il monte avec nous, et, comme un exempt de police, nous conduit ainsi à travers la ville et au milieu de la populace attroupée. On nous conduisit de la sorte chez un marchand nommé Schmid, qui avait le titre de conseiller du roi de Prusse et était le suppléant de Freytag. La porte est barricadée et des factionnaires apostés pour contenir le peuple assemblé. Nous sommes conduits dans un comptoir. Des commis, des valets et des servantes nous entourent. Mme Schmid passe devant Voltaire d’un air dédaigneux et vient écouter le récit de Freytag, qui raconte de l’air d’un matamore comment il est parvenu à faire cette importante capture et vante avec emphase son adresse et son courage… Qu’on se représente l’auteur de la Henriade et de Mérope, celui que Frédéric avait nommé son ami, ce grand homme