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homme demandait à Berlin un auxiliaire, ce n’est point seulement qu’il se défiât de son ignorance, c’était surtout que les ruses de Voltaire, combinées avec les ordres pressans de Fredersdorff, lui donnaient je ne sais quelle haute idée de la mystérieuse affaire confiée à ses soins. Il faut ajouter, pour compléter la scène du 1er juin, que le billet de Freytag inséré dans les mémoires de Voltaire est évidemment l’œuvre du narrateur. Le billet authentique, conservé aux archives de Berlin, est rédigé en termes plus simples. L’honnête résident est bien assez comique avec son importance et ses tribulations sans qu’il soit besoin d’en faire une caricature. Voici le reçu du bonhomme d’après la transcription littérale qu’en a donnée M. Varnhagen :


« J’ai reçu de M. de Voltaire deux paquets d’écritures cachetés de ses armes, et que je lui rendrai après avoir reçu la grande malle de Leipzig ou de Hambourg où se trouve l’œuvre des poésies que le roi demande.

« FREYTAG, résident. »

« Francfort, le 1er juin 1753. »

Au verso de la page, Voltaire lui-même a tracé ces mots en grosses lettres soigneusement formées, qui contrastent avec l’écriture hâtive du résident : Promesses de M. de Freytag. Il était donc relativement assez calme, si on compare son attitude de ce premier jour avec l’exaspération que vont lui causer bientôt les maladresses et les brutalités de ses gardiens. C’est à peine s’il se souvient qu’il est prisonnier sur parole. Sa merveilleuse activité d’esprit lui fournit des distractions toujours prêtes. Le soir même du jour où il est resté neuf heures en tête à tête avec le consciencieux Freytag, il a déjà repris la plume. Sa nièce, qui l’attend à Strasbourg, recevra, demain le récit de son aventure, et s’empressera de le rejoindre à Francfort. Il a sur le métier un ouvrage commencé à la prière de la duchesse de Gotha, les Annales de l’Empire, quelle occasion de revoir et de rédiger ses notes ! Plusieurs jours s’écoulent ainsi sans que le prisonnier songe à se plaindre : l’arrivée de Mme Denis, les soins d’une correspondance immense, la rédaction de ses Annales, les visites à recevoir, en voilà plus qu’il n’en faut pour le distraire. N’est-ce pas avant tout un esprit ? Penser, causer, écrire, n’est-ce pas sa vie ? Peu à peu cependant les visites mêmes qu’il reçoit lui font sentir ce qu’a de révoltant le procédé de la police prussienne. Soit que des personnes éminentes de la cité lui promettent leur appui auprès des magistrats, soit qu’il s’irrite de ne pouvoir répondre à l’empressement dont il est l’objet, un désir de résistance vient de s’éveiller en lui. Un rayon, une étincelle, c’est assez pour embraser une telle âme ; l’explosion est imminente. Un prince allemand que Voltaire