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voiture afin de s’assurer si elle se rend en effet à l’hôtellerie indiquée. En même temps, un exprès sera envoyé à M. Schmid pour le prévenir. Il sera expressément défendu aux gardiens des portes de laisser soupçonner à M. de Voltaire les mesures prises à son égard ; mais comme il faut prévoir les indiscrétions ou les trahisons de ces agens, on trouvera un prétexte qui expliquera ces mesures à leurs yeux ; on leur dira, par exemple, qu’il s’agit de remettre à M. de Voltaire un paquet à lui destiné. Il faut prévoir aussi le cas où M. de Voltaire prendrait un autre nom que le sien ; on aurait donc soin de signaler à M. Schmid tous les Français qui arriveraient à Francfort avec un certain équipage[1]. On n’oubliera pas d’ailleurs de donner aux gardiens de ville le signalement exact de sa personne : 2° S’entendre avec le maître de poste M. Klees, dont le premier postillon espionnera M. de Voltaire dès son arrivée sous prétexte. de lui offrir ses services pour la continuation de son voyage, 3° Envoyer à Friedberg un homme de confiance qui s’installera chez le maître de poste jusqu’à l’arrivée de Voltaire. 4° Même tactique au relai de poste de Hanau. 5° S’informer, chacun de son côté, des hôtels où Voltaire est descendu pendant la route. 6° Se préoccuper du cas où Voltaire serait déjà installé à Francfort, envoyer dans les principaux hôtels de la ville des espions qui demanderaient : N’est-ce pas ici qu’est descendu un gentilhomme français nommé Maynvillar ? — On répondra nécessairement non. Et si c’est là qu’est notre homme, on ajoutera sans doute : Il y a bien ici un Français, mais il s’appelle Voltaire. De cette manière, nous aurons le renseignement que nous cherchons, sans l’avoir demandé. 7° Le facteur qui me porte mes lettres est à ma dévotion ; je saurai par lui s’il est arrivé déjà des missives au nom de Voltaire et en quel lieu on les lui adresse. » Le baron de Freytag priait le conseiller Schmid de méditer ce plan, d’y joindre ses observations écrites et de le lui renvoyer au plus tôt, à quoi le conseiller Schmid ne répondit que par un cri d’admiration.

O finesse allemande ! ô machiavélisme de cette police tudesque ! la grande conspiration est à l’œuvre ; gardiens de ville, postillons, facteurs de la poste aux lettres, toute une escouade de limiers a commencé la besogne. Au milieu de ces roueries naïves et consciencieuses, une chose embarrasse les deux chefs ; quel est ce livre mentionné à la fin des instructions de M. de Fredersdorff ? Le chambellan du roi de Prusse a fait comme les personnes qui réservent le post-scriptum pour le point essentiel de leurs missives ; il a parlé de lettres du roi, d’écritures du roi, par conséquent de manuscrits,

  1. Alle Franzosen die mit einer réputierlichen Equipas, einkommen.