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confidences. Or, à peine sorti de Berlin, le prisonnier s’en donne à cœur joie. Quel bonheur de respirer librement ! Quelles délices de préparer sa vengeance ! A Leipzig, à Gotha, il commence le feu, tantôt harcelant Maupertuis de nouvelles attaques au point de s’attirer une provocation au pistolet à laquelle il répond publiquement par une véritable mitraille de bouffonneries et d’insultes, tantôt criblant le roi de Prusse de traits empoisonnés et lui suscitant partout des ennemis. Il avait pour cela des armes terribles dans les poésies du roi. Le recueil en question renfermait les vers que Voltaire lui-même, au temps de sa plus grande faveur à Berlin, signalait en ces termes dans une lettre à Mme Denis : « Savez-vous bien qu’il a fait un poème dans le goût de ma Pucelle, intitulé le Palladium ? Il s’y moque de plus d’une sorte de gens… » Parmi ces gens de plus d’une sorte bafoués par Frédéric se trouvaient au premier rang les chefs de la politique européenne, souverains et ministres ; les personnages officiels des cours allemandes n’y étaient pas épargnés, et l’on comprend que Voltaire eût beau jeu pour soulever contre son ami de la veille des ressentimens implacables. S’il commence à Gotha, que sera-ce donc à Versailles ? Potsdam s’émeut des premières indiscrétions du poète émancipé ; Frédéric, prévenu par ses amis, n’hésite pas à y couper court, et, à peine revenu de Silésie, il se décide à faire saisir entre les mains de Voltaire le livre accusateur.

Comment s’y prendre pour exécuter ce coup de main ? On reconnaît ici le stratégiste impétueux, le maître accoutumé à être obéi sur un signe, et non le diplomate consommé. M. Varnhagen d’Ense, ancien membre des légations prussiennes, et, bien que devenu démocrate vers la fin de sa vie, fort attaché aux formes de l’étiquette, estime que tous les scandales de l’aventure de Francfort ont eu pour principe un ordre mal conçu. Au lieu de confier l’affaire à son ministre des relations extérieures, c’est-à-dire à un homme qui devait connaître l’importance des termes clairs et précis, Frédéric en chargea un personnage à tout faire, le maître Jacques du palais, M. de Fredersdorff. Le 11 avril 1753, M. de Fredersdorff adresse à M. le baron de Freytag, résident prussien à Francfort, une instruction dont voici le résumé : — Par ordre de sa majesté le roi, lorsque Voltaire passera par Francfort, ce qui ne saurait tarder, M. le résident et conseiller de guerre baron de Freytag, accompagné de M. le conseiller aulique Schmid, ira lui redemander sa clé de chambellan ainsi que la croix et le ruban de l’ordre pour le mérite. En outre, comme les bagages de Voltaire sont adressés de Berlin à Francfort, et qu’il s’y trouve beaucoup de lettres et d’écritures de l’auguste main de sa majesté, M. de