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l’autre pour les crinolines. En manière de contraste et de complément, on nous montre le grand autel, où sont les têtes de saint Pierre et de saint Paul. « Sur cet autel même, nous dit un jeune prêtre, saint Pierre disait la messe. » Tout à l’heure, en passant, je suis entré à Santa-Pudentiana, et j’ai vu la margelle d’un puits où la sainte recueillit le sang de plus de trois mille martyrs. À côté de Saint-Jean de Latran est une chapelle avec trois escaliers. L’un d’eux vient du palais de Pilate ; on l’a recouvert de bois, et les dévots le montent sur leurs genoux : je viens de les voir, trébuchant, cahotés et grimpant ; ils mettent une demi-heure à se hisser ainsi jusqu’au haut, s’accrochant des mains aux marches et aux murailles pour mieux s’imprégner de la sainteté du lieu. Il faut voir leur sérieux, leurs grands yeux fixes. Un paysan surtout, en veste et pantalon bleus déchirés, avec de gros souliers à clous, aussi inculte et lourd que ses bestiaux, cognait de ses genoux le bois retentissant, et, quand le marbre devenait visible, baisait et rebaisait la place. Au sommet est une image sur une grille entre des cierges, et l’on baise incessamment la grille. Une pancarte affichée porte une prière de vingt mots à peu près : quiconque récitera la prière gagnera une indulgence de cent jours. La pancarte invite les fidèles à apprendre la prière par cœur, afin de la réciter le plus souvent possible et d’augmenter ainsi leur provision d’indulgences. On se croirait en pays bouddhique : des dorures pour les gens du monde, des reliques pour les gens du peuple ; c’est bien ainsi que depuis deux cents ans on entend le culte en Italie.

Toutes ces idées s’effacent lorsque de l’entrée on contemple la majestueuse ampleur de la grande nef, toute blanche sous l’or de sa voûte. Le soleil, qui baisse, traverse les fenêtres et s’abat sur le parvis en grandes chutes de lumière. L’abside, sillonnée de vieilles mosaïques, courbe ses rondeurs d’or et de pourpre sombre entre les blancheurs éblouissantes des rayons lancés comme des poignées de dards. On avance, et tout à coup, du péristyle, l’on voit se déployer l’admirable place. Il n’y a rien d’égal à Rome, et l’on ne peut imaginer un spectacle plus simple, plus grave et plus beau : d’abord la place en pente, énorme, déserte ; au-delà, une esplanade où l’herbe pousse, puis une longue allée verte où s’allongent des files d’arbres sans feuilles ; tout à l’extrémité, sur le ciel, une grande basilique, Santa-Croce, avec son campanile brun et ses toits de tuile. On n’a pas l’idée d’un tel déploiement d’espace si bien peuplé, d’une solitude si calme et si noble. Les paysages qui l’encadrent sur les deux flancs l’ennoblissent encore. Sur la gauche se hérisse un entassement rougeâtre d’arcades ruinées, de massifs démantelés, la vieille ceinture disloquée de la muraille de Bélisaire.