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si ridicule à Saint-Pierre, a trouvé ici la sculpture moderne toute fondée sur l’expression, et pour achever il a disposé le jour de manière à verser sur ce délicat visage pâle une illumination qui semble celle de la flamme intérieure, en sorte qu’à travers le marbre transfiguré qui palpite on voit luire comme une lampe l’âme inondée de félicité et de ravissement.

Le commentaire d’un pareil groupe est dans les traités mystiques contemporains, dans ce célèbre Guide de Molinos, réimprimé vingt fois en douze ans, et qui de palais en palais, dans cette Rome inoccupée, conduisait les âmes par les sentiers embrouillés d’une spiritualité nouvelle jusqu’à l’amour sans amant, et de là plus loin[1]. Tandis que l’Espagne exaltée se consumait dans son catholicisme comme un cierge dans sa flamme, et par ses peintres, par ses poètes, prolongeait l’enthousiasme fiévreux dont saint Ignace et sainte Thérèse avaient brûlé, la sensuelle Italie, ôtant les épines de la dévotion, la respirait comme une rose épanouie, et dans les belles saintes de son Guide, dans les séduisantes Madeleines de son Guerchin, dans les gracieuses rondeurs et les chairs riantes de ses derniers maîtres, accommodait la religion aux douceurs voluptueuses de ses mœurs et de ses sonnets. « Il y a six degrés dans la contemplation, disait Molinos : ce sont le feu, l’onction, l’élévation, l’illumination, le goût et le repos… L’onction est une liqueur suave et spirituelle, qui, se répandant dans toute l’âme, l’instruit et la fortifie… Le goût est un goût savoureux de la divine présence… Le repos est une suave et merveilleuse tranquillité, où l’abondance de la félicité et de la paix est si grande qu’il semble à l’âme qu’elle est dans un sommeil suave, comme si elle s’abandonnait et se reposait sur la divine poitrine amoureuse… Il y a beaucoup d’autres degrés de la contemplation, comme l’extase, les transports, la liquéfaction, la pâmoison, le triomphe, le baiser, les embrassemens, l’exultation, l’union, la transformation, les fiançailles, le mariage[2]. » Il professait tout cela et arrivait à la pratique. Dans ce monde affaissé et gâté, où l’esprit, vide de grands intérêts, n’était rempli que d’intrigues et de parades, la partie passionnée et imaginative de l’âme ne trouvait d’autre débouché que la conversation sentimentale et galante. De l’amour terrestre, quand venait le remords, on passait à l’amour céleste, et au bout d’un temps, sous une pareille doctrine, on éprouvait que de l’amant au directeur rien n’était changé.

J’ai lu dernièrement l’Adone de Marini, et c’est dans ce poème,

  1. Voyez les articles 41 et 42 de son interrogatoire. « En ces cas et autres, qui sans cela seraient coupables, il n’y a pas péché, parce qu’il n’y a pas consentement. »
  2. Guida Spirituale, 1675, liv. II, p. 183.