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Augustin. Elle avait commencé avec l’invasion des barbares, elle a duré jusqu’à Luther. À partir de ce moment, avec Pie V, Paul IV, Sixte-Quint, une autre religion épurée et savante s’est établie, celle qui, par les séminaires, la discipline, la restauration des canons, a formé le prêtre tel que nous le connaissons, tel que le catholicisme noble et lettré de la France au XVIIe siècle nous l’a montré, c’est-à-dire régulier dans sa conduite, d’extérieur correct et décent, surveillé, se surveillant lui-même, sorte de préfet ou de sous-préfet moral, fonctionnaire d’une grande administration intellectuelle, qui aide les gouvernemens laïques et maintient l’ordre dans les esprits. La différence est énorme entre les papes guerriers, épicuriens, païens du commencement du XVIe siècle, et les papes dévots, pieux, ecclésiastiques de la fin du même siècle, entre Léon X, bon vivant, grand chasseur, amateur de farces crues, entouré de bouffons, passionné pour les fables antiques, et Sixte-Quint, ancien moine franciscain, qui démolit le Septizonium de Septime-Sévère, qui transporte l’obélisque devant Saint-Pierre pour le faire chrétien[1] et veut purger Rome de toutes les traces de l’ancien paganisme.

Nous sommes revenus par Santa-Maria della Vittoria pour voir la sainte Thérèse du Bernin. Elle est adorable : couchée, évanouie d’amour, les mains, les pieds nus pendans, les yeux demi-clos, elle s’est laissée tomber de bonheur et d’extase. Son visage est maigri, mais combien noble ! C’est la vraie grande dame qui a séché « dans les feux, dans les larmes, » en attendant celui qu’elle aime. Jusqu’aux draperies tortillées, jusqu’à l’allanguissement des mains défaillantes, jusqu’au soupir qui meurt sur ses lèvres entr’ouvertes, il n’y a rien en elle ni autour d’elle qui n’exprime l’angoisse voluptueuse et le divin élancement de son transport. On ne peut pas rendre avec des mots une attitude si enivrée et si touchante. Renversée sur le dos, elle pâme, tout son être se dissout ; le moment poignant arrive, elle gémit ; c’est son dernier gémissement, la sensation est trop forte. L’ange cependant, un jeune page de quatorze ans, en légère tunique, la poitrine découverte jusqu’au-dessous du sein, arrive gracieux, aimable ; c’est le plus joli page de grand seigneur qui vient faire le bonheur d’une vassale trop tendre. Un sourire demi-complaisant, demi-malin, creuse des fossettes dans ses fraîches joues luisantes ; sa flèche d’or à la main indique le tressaillement délicieux et terrible dont il va secouer tous les nerfs de ce corps charmant, ardent, qui s’étale devant sa main. On n’a jamais fait de roman si séduisant et si tendre. Ce Bernin, qui me semblait

  1. Voyez l’inscription dans laquelle il se glorifie de cette victoire sur les faux dieux.