Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 56.djvu/806

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une théologie et une politique ; toujours une conception nouvelle des choses divines et humaines produit une façon nouvelle d’entendre la beauté : l’homme parle dans ses décorations, dans ses chapiteaux, dans ses coupoles, parfois plus clairement et toujours plus sincèrement que dans ses actions et ses écrits.

Pour voir ce goût dans tout son éclat, il faut aller près de la place de Venise, au Gesu, monument central de la société, bâti par Vignoles et Jacques de La Porte dans le dernier quart du XVIe siècle. La grande renaissance païenne s’y continue, mais s’y altère. Les voûtes à plein-cintre, la coupole, les pilastres, les frontons, toutes les grandes parties de l’architecture sont, comme la renaissance elle-même, renouvelées de l’antique ; mais le reste est une décoration, et tourne au luxe et au colifichet. Avec la solidité de son assiette et les rondeurs de ses formes, avec la pompeuse majesté de ses pilastres chargés de chapiteaux d’or, avec ses dômes peints où tournoient de grandes figures drapées et demi-nues, avec ses peintures encadrées dans des bordures d’or ouvragé, avec ses anges en relief qui s’élancent du rebord des consoles, cette église ressemble à une magnifique salle de banquet, à quelque hôtel de ville royal qui se pare de toute son argenterie, de tous ses cristaux, de son linge damassé, de ses rideaux garnis de dentelle, pour recevoir un monarque et faire honneur à la cité. La cathédrale du moyen âge suggérait des rêveries grandioses et tristes, le sentiment de la misère humaine, la divination vague d’un royaume idéal où le cœur passionné trouvera la consolation et le ravissement. Le temple de la restauration catholique inspire des sentimens de soumission, d’admiration, ou du moins de déférence, pour cette personne si puissante, si anciennement établie, surtout si accréditée et si bien meublée, qu’on appelle l’église.

De toute cette décoration imposante et éblouissante, une idée jaillit pareille à une proclamation : « L’ancienne Rome avait réuni l’univers dans un empire unique ; je la renouvelle et je lui succède. Ce qu’elle avait fait pour les corps, je le ferai pour les esprits. Par mes missions, mes séminaires, ma hiérarchie, j’établirai universellement, éternellement et magnifiquement l’église. Cette église n’est pas, comme le veulent vos protestans, l’assemblée des âmes alarmées et indépendantes, chacune active et raisonneuse devant sa Bible et sa conscience, ni, comme le voulaient les premiers chrétiens, l’assemblée des âmes tendres et tristes mystiquement unies par la communauté de l’extase et l’attente du royaume de Dieu : elle est un corps de puissances ordonnées, une institution sainte, subsistante par elle-même et souveraine des esprits. Elle ne réside pas en eux, elle ne dépend pas d’eux, elle a sa source en soi. Elle