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jours rayonnans sont une image de la vie chrétienne plongée dans ce triste monde avec des échappées sur l’autre. Cependant des deux côtés, à perte de vue, sur les vitraux, les processions violettes et rougeâtres, toute l’histoire sacrée scintille en révélations appropriées à la pauvre nature humaine.

Comme ces barbares du moyen âge ont senti le contraste des jours et des ombres ! que de Rembrandts il y a eu parmi les maçons qui ont préparé ces ondoiemens mystérieux des ténèbres et des lueurs ! Comme il est vrai de dire que l’art n’est qu’expression, qu’il s’agit avant tout d’avoir une âme, qu’un temple n’est pas un amas de pierres ou une combinaison de formes, mais d’abord et uniquement une religion qui parle ! Cette cathédrale parlait tout entière aux yeux, dès le premier regard, au premier venu, à un pauvre bûcheron des Vosges ou de la Forêt-Noire, demi-brute engourdie et machinale, dont nul raisonnement n’eût pu percer la lourde enveloppe, mais que sa misérable vie au milieu des neiges, sa solitude dans sa chaumine, ses rêves sous les sapins battus par la bise, avaient rempli de sensations et d’instincts que chaque forme et chaque couleur réveillaient ici. Le symbole donne tout du premier coup et fait tout sentir ; il va droit au cœur par les yeux sans avoir besoin de traverser la raison raisonnante. Un homme n’a pas besoin de culture pour être touché de cette énorme allée, avec ses piliers graves régulièrement rangés, qui ne se lassent pas de porter cette sublime voûte ; il lui suffit d’avoir erré dans les mois d’hiver sous les futaies mornes des montagnes. Il y a un monde ici, un abrégé du grand monde tel que le christianisme le conçoit : ramper, tâtonner des deux mains contre des parois humides dans cette vie ténébreuse, parmi les vacillemens de clartés incertaines, parmi les bourdonnemens et les chuchotemens aigres de la fourmilière humaine, et, pour consolation, apercevoir çà et là dans les sommets des figures rayonnantes, le manteau d’azur, les yeux divins d’une Vierge et d’un petit enfant, le bon Christ tendant ses mains bienfaisantes, pendant qu’un concert de hautes notes argentines et d’acclamations triomphantes emporte l’âme dans ses enroulemens et dans ses accords.

15 mars, le Gesu.

Ce sont ces souvenirs et d’autres pareils qui me gâtent ou plutôt qui m’expliquent les églises de Rome. Elles sont presque toutes du XVIIIe siècle ou de la fin du XVIe, en tout cas modernisées, et portent la marque de la restauration catholique qui suivit le concile de Trente. À partir de cette époque, le sentiment religieux se transforme ; l’ascendant est aux jésuites. Ils ont un goût, comme ils ont