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traité d’union et d’alliance défensive entre les républiques représentées dans l’assemblée, en second lieu un traité destiné à assurer la conservation de la paix entre lesdits états. »

Est-ce là l’obscur commencement d’une grande œuvre ? Les efforts de quelques hommes politiques parviendront-ils à établir les élémens de cette fédération qui doit communiquer à l’Amérique latine cette puissance que des institutions analogues ont déjà donnée à une autre partie du même continent ? Une race nouvelle se forme dans ces jeunes états de la fusion de tous les peuples que plusieurs siècles y ont violemment réunis. Les restes des anciennes familles espagnoles disparaissent peu à peu. Le sang indien, qu’aucune défaveur de caste n’a jamais frappé sérieusement, apporte à la descendance affaiblie des conquérans la sauvage énergie de sa sève. Élégante et vigoureuse de formes, douée de passions ardentes, d’une intelligence peut-être trop rapide parce qu’elle est exposée à rester superficielle, possédant l’esprit de ruse, bien qu’elle ait des manières expansives, d’une imagination vive et poétique, — sa littérature naissante le prouve, — cette race hispano-américaine a semblé jusqu’à présent manquer d’une qualité essentielle : elle a été impuissante à constituer un gouvernement stable. Dieu lui a donné, du Mexique à l’extrémité du Chili, un splendide domaine ; mais l’immensité même de cet espace ne sera-t-elle pas un premier obstacle à l’établissement de la nouvelle confédération ? Les trente-deux millions d’habitans qui la peupleraient seraient répartis sur une surface de trois cent quatre-vingt-dix milles carrés, c’est-à-dire qu’une population numériquement inférieure à celle de la France devrait occuper et détenir un territoire trente-huit fois plus grandi Comprend-on quelles étendues vides, inconnues, recèleraient les profondeurs du nouvel état ? Comment établir la cohésion politique nécessaire entre des pays si séparés, si lointains ? Ne verrait-on pas, au sein même du congrès néo-latin, se réveiller l’antagonisme des élémens espagnol et portugais qui ensanglante encore aujourd’hui, avec une violence nouvelle, l’une des rives de la Plata ? Quelle serait d’ailleurs l’impuissance du gouvernement central à faire exécuter ses volontés ! Quelles difficultés ne rencontrerait-il pas pour transmettre même ses ordres à de telles distances, des bords du Pacifique à ceux de l’Océan, à travers les solitudes de l’intérieur ou les tempêtes du cap Horn ! La nature, les circonstances, ne sont-elles donc pas, quant à présent, opposées à un projet dont il convenait toutefois de constater la grandeur, et dont la réalisation appartiendra peut-être à un avenir moins éloigné que nous ne le croyons aujourd’hui ?


J. DE LASSEUBE.

V. DE MARS.