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jour violemment, le gouvernement du général Pezet avait cru pouvoir détourner le danger qui le menaçait en prenant l’initiative d’un mouvement national vers l’unification des peuples de l’Amérique du Sud. M. Ribeyro voulait jouer avec la révolution comme M. de Cavour et pour les mêmes motifs : l’Autrichien n’était-il pas au Mexique ? Du reste, l’idée d’une grande ligue néo-latine n’était pas nouvelle en Amérique, et depuis quelques années elle y préoccupait certains esprits qui cherchaient le moyen, peut-être insoluble, d’unifier la patrie hispano-américaine sans toucher à la jalouse indépendance des divers états qui la composent. Un écrivain est allé jusqu’à indiquer les bases que devrait avoir cette confédération nouvelle[1] : réunion annuelle d’une diète centrale, levée d’un contingent militaire fédéral, Zollverein sud-américain plus libéral que le Zollverein allemand, assimilation des législations diverses, uniformité des monnaies, poids et mesures. Un autre écrivain, un poète, a déjà donné un nom à la grande patrie pour laquelle il rêve des destinées éclatantes : comme réparation d’une séculaire injustice, l’Amérique du Sud, unie et pacifiée, s’appellerait la Colombie.

Le gouvernement du Pérou cherchait donc à faire passer du domaine des idées spéculatives dans celui des réalités politiques un projet que l’opinion publique était toute disposée à comprendre. De là l’enthousiasme avec lequel la presse américaine accueillit la circulaire de M. Ribeyro. La plupart des gouvernemens conviés au congrès durent répondre presque immédiatement qu’ils adhéraient à la proposition qui leur était faite. De toutes ces réponses, la plus remarquable fut celle de la plus faible et de la dernière venue des républiques néo-latines, la Bolivie. Tout en s’engageant à se faire représenter au congrès, le gouvernement du général Belzu insistait sur la nécessité de ne pas froisser les susceptibilités européennes, et aussi de restreindre les efforts de la future fédération à l’étude des améliorations qu’une entente commune pouvait seule amener ; il indiquait comme exemple l’opportunité qu’il y aurait à proclamer la liberté de la navigation des fleuves et des rivières du continent sud-américain.

Malgré les sympathies qui lui étaient acquises, la proposition de M. Ribeyro serait restée sans effet probablement et n’aurait réuni que des adhésions stériles sans l’incident qui surgit tout à coup dans les eaux mêmes du Pérou, comme pour justifier les appréhensions de son gouvernement. Il serait inutile de revenir sur ce qui a été dit dans la Revue au sujet de la mission de M. Salazar. Ne pouvant se faire recevoir au Pérou avec son titre, qui, bien que reconnu par le droit diplomatique, avait le tort de rappeler, dans cette circonstance, la dénomination sous laquelle sa majesté très catholique envoyait autrefois les inspecteurs chargés de la surveillance de ses colonies, le commissaire espagnol était allé rejoindre l’amiral Pinzon à la hauteur des îles Chinchas, dont les forces de la reine

  1. Correo d’Ultramar, février 1862.