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le lendemain d’un incident qui ne nous paraît pas moins regrettable. M. Jules Favre développait le premier amendement de l’opposition. Il cherchait, ce nous semble, à lire dans les anciennes déclarations du prince Louis les desseins constitutionnels de l’empereur sur l’avenir. La majorité a paru voir dans cette investigation historique, entreprise pour arriver à l’intelligence des développemens futurs de la constitution, un procédé peu respectueux pour le chef de l’état, une discussion de la personne même de l’empereur. Interrompu à plusieurs reprises et avec vivacité, M. Jules Favre a cru devoir renoncer à la parole. Il nous est difficile de nous expliquer ce fait pénible. Il nous est difficile de comprendre que des membres de la majorité qui connaissent l’éloquence de M. Jules Favre aient pu appréhender que cette pensée toujours si élevée, cette parole à la fois austère et élégante, pussent manquer au respect dû par un député au chef de l’état. La sollicitude de la majorité pour l’empereur a été, nous le craignons, en cette circonstance déplacée et outrée. C’est bien ce qui s’appelle être plus royaliste que le roi. L’empereur ne nous semble jamais avoir éprouvé la crainte d’être discuté. Il a permis que ses écrits politiques fussent réunis, les soumettant apparemment à la libre appréciation de la conscience publique. Il est en train de publier un livre dont il s’attend bien à voir contredire certaines doctrines et certaines assertions par de libres dissidens. Il y a plus, ceux qui ne veulent point que la suite des idées de l’empereur soit discutée méconnaissent le principe même de la constitution impériale, ou tombent dans une étrange inconséquence. Si on leur témoigne le désir de voir rétablir la responsabilité ministérielle : « Vous violez, disent-ils, la constitution ; l’empereur seul est responsable, les ministres ne le sont plus. » Et maintenant, si on se permet d’interroger en d’anciens écrits la pensée impériale : « Vous discutez la personne de l’empereur, s’écrient-ils, cela n’est pas permis. » Il faudrait pourtant se mettre d’accord avec soi-même et nous apprendre ce que devient la responsabilité, si le chef responsable n’est point discutable. Il ne faudrait pas cumuler les avantages de la constitution de 1852 avec les vieux erremens parlementaires. Sous la monarchie parlementaire, le roi, étant irresponsable, était tenu comme ne pouvant mal faire, et il n’était pas permis de le discuter ; c’est ce que l’on appelait la fiction de l’irresponsabilité. Prétendre que l’on ne peut pas discuter, quand même ce serait avec dignité et convenance, les opinions ou les actes de l’empereur, le souverain ayant été déclaré responsable et les ministres ne l’étant plus, c’est vouloir introduire aussi dans la constitution de 1852 une fiction qui s’appellerait cette fois la fiction de la responsabilité. Nous sommes convaincus, pour notre part, qu’une telle prétention est contraire à la pensée de l’empereur. Ceux qui veulent mettre cette entrave à la liberté de discussion dans le corps législatif sont trahis par un zèle maladroit. Ils se méprennent sur l’esprit de nos institutions, ils essaient d’enlever à l’empereur un des grands côtés de son attitude. Sans prendre en ce moment la liberté de juger l’économie de la responsabilité