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sens, quelle grâce ! Nulle récrimination, nulle aigreur, nulle rudesse, une modération exquise ; par momens, une étincelle de cette fierté qui sied si bien à un grand esprit qui a le sentiment de soi-même et qui sent aussi la grandeur de la patrie pour l’honneur de laquelle il parle ; de l’esprit toujours. Comme M. Thiers a fait comprendre que c’est la liberté qui est naturelle, et que c’est le contraire de la liberté qui est ingénieux ! Que répondre à l’énumération des libertés nécessaires qu’il a expliquées avec la logique du bon sens ? Comment ne pas être ému de cette comparaison qui nous afflige tant lorsque nous sortons de France, et qui nous montre les pays voisins jouissant de libertés qu’ils ont apprises à notre école et à notre exemple, et dont nous sommes cependant privés ? Quelle parole élevée et sage que celle qui rappelle que c’est le devoir des peuples de ne point perdre l’espérance, et que c’est le devoir des gouvernemens de ne point la leur retirer !

Nous ne comprenons point qu’à un discours à la fois aussi élevé et aussi calme il ait été opposé par M. Thuillier une réplique aussi véhémente. Il nous semble qu’un orateur officiel n’eût point dû laisser s’échapper l’occasion de s’établir dans la région élevée et sereine où M. Ollivier d’abord et M. Thiers ensuite appelaient le gouvernement. Cette occasion n’aurait-elle pas dû attirer surtout le premier orateur du gouvernement, M. Rouher, qui s’est montré plus d’une fois capable de parler dignement des questions qui intéressent la liberté et le progrès ? M. Rouher, en homme qui doit songer à l’avenir, a-t-il répugné à se compromettre dans un débat où, pour le moment, il aurait été obligé d’opposer à la pétition des libertés nécessaires des ajournemens qu’on aurait pu travestir en fins de non-recevoir ? En ce cas, il faudrait donner une interprétation favorable à l’abstention de M. le ministre d’état. Nous n’en regrettons pas moins le ton et l’argumentation du discours de M. Thuillier. Cet orateur a du feu et de l’énergie ; mais les circonstances ne demandaient point qu’il mît en jeu ces côtés de son talent, au contraire. M. Thuillier, nous le reconnaissons d’ailleurs, a été peut-être entraîné par le système de son argumentation plutôt que par sa volonté. M. Thuillier a fait de la politique rétrospective ; il a cherché ses argumens dans le passé ; aux libertés régulières et modérées réclamées aujourd’hui, il a opposé le souvenir des excès qui ont pu être commis autrefois au nom de ces libertés dans des momens de fièvre révolutionnaire. Cette méthode de récriminations ne nous paraît point conforme à la véritable éloquence gouvernementale, à qui il sied moins qu’à toute autre de passionner les discussions. L’inconvénient de ces retours sur le passé, c’est d’amener un déluge de citations ; ces citations nécessairement tronquées paraissent injustes ; les comparaisons arbitraires que l’on établit ainsi entre le passé et le présent, sans tenir compte de la différence des circonstances, blessent les esprits impartiaux et irritent en sens contraire les esprits violens. C’est surtout la presse qui a supporté le poids des