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pouvoir de l’ennemi. On manque de détails sur cette invasion, comme sur les opérations de l’empereur Probus. On sait seulement que, partout vainqueur, ce nouveau Trajan balaya devant lui tous les envahisseurs, détruisit, disait un des bulletins qu’il envoya au sénat, quatre cent mille ennemis, et repeupla aux dépens des vaincus les provinces qu’ils avaient ravagées. Les. deux Germanies, la Toxandrie (Zélande), même le pays des Nerviens et des Trévires, reçurent, comme colons ou lètes, un très grand nombre de captifs germains.

Les grands propriétaires gaulois employèrent sans doute beaucoup de ces colons à revêtir de vignes ces coteaux de la Moselle qui rappelaient à Ausone, un siècle plus tard, les coteaux de la Garonne. Domitien, craignant que le raisin ne fît tort au blé, avait défendu de planter, en Italie et dans la Narbonnaise, de nouvelles vignes, et ordonné d’arracher celles que l’on avait commencé à cultiver dans la Gaule chevelue. Les guerres civiles, qui séparèrent plusieurs fois la Gaule de l’Italie pendant un temps plus ou moins long, avaient déjà dû suspendre momentanément l’effet de ces restrictions et peut-être les faire tomber en désuétude ; ce n’est pourtant qu’au IIIe siècle, avec Probus, qui faisait planter des vignes par ses légions, que cette culture paraît avoir gagné du terrain. Des Vosges au Rhin, les collines qui bordent la Moselle se couvrirent de vignes qui gardent encore aujourd’hui une réputation qu’elles eurent bientôt conquise dans la Gaule septentrionale[1].

La nouvelle division de l’empire, établie par Dioclétien, fut favorable à la grandeur et aux intérêts de Trèves. La Belgique était, il est vrai, partagée en deux ; mais Trèves, chef-lieu de la première Belgique, était en même temps la résidence du vicaire préfectoral

  1. Est-ce à cette époque que remonte le dicton qu’aiment à citer les anciens chroniqueurs trévirois : vinum mosellanum est omni tempore sanum ? Un des historiens les plus anciens de Trèves, le docte et excellent évoque Hontheim, développe cet éloge en des termes qui font plus d’honneur à son patriotisme qu’à son austérité. « Personne n’ignore, dit-il, l’abondance, la bonté, la salubrité, la force du vin de Moselle ; il y a plaisir à s’en griser, sans que ni le cœur ni la tête en souffrent, sans que l’on ait à craindre de fatigue pour le lendemain. » Ce qui prouve quelle quantité de vin produisit bientôt la vallée de la Moselle, et quel commerce en fit Trèves, c’est l’explication que donne une vieille tradition populaire de l’existence d’un aqueduc ruiné qui semble avoir suivi, à quelques écarts près, la grande voie de Trèves à Cologne. Les savans qui en ont étudié les débris croient qu’il y avait là deux aqueducs, partant d’un réservoir commun placé quelque part sur la ligne de faîte, réservoir où se seraient réunies les eaux du massif de l’Eifel, et qui les aurait versées en partie vers Cologne, en partie vers Trèves ; mais, dans les villages que traversent les restes de ces conduits, on attribue à cet ouvrage une autre destination : les gens de Trèves, raconte-t-on, avaient construit ce canal pour faire passer plus facilement et plus abondamment du vin à leurs amis de Cologne.